C'est lourd et mélancolique. L'atmosphère sombre du Havre, les personnages aux pensées brumeuses, les destins tragiques, les dialogues inspirés par le désespoir et la fatalité. Il y a quelque chose d’attirant dans toute cette lourdeur mélancolique ; dans les pensées noires d'un Jean, déserteur et sans illusion sur son destin, d'un Michel Krauss, artiste peintre, désabusé et suicidaire, d'une Nelly, jeune fille aux yeux hypnotiques, perdue et malmenée par son tuteur, d'un Quart-Vittel, alcoolique rieur et clochard. Tous ces éclopés de la vie se retrouvent dans un bistrot délabré au bord des quais du Havre, point de chute des âmes errantes. Il est tenu par un certain Panama, homme aux vêtements blancs et chapeau, qui accompagne à la guitare les malheurs de ses hôtes. Cette bicoque de marginaux est un refuge temporaire pour Jean qui y rencontre ici la jeune et belle Nelly dont il tombe immédiatement amoureux. Cette idylle, qui tourne rapidement au drame, est peut-être la seule lumière dans ce film où chaque personnage transpire le désespoir. Chacun camoufle ou supporte comme il peut son mal de vivre, par l'alcool, la poésie, la musique, l'orgueil... Zabel, petit boutiquier et tuteur de Nelly, est peut être celui qui fait le plus pitié avec sa fameuse réplique : "Mais qu'est ce que vous avez dont tous avec l'amour. Est ce qu'il y a quelqu'un qui m'aime moi ?!". Seul le chien errant qui accompagne Jean dans tous ses déplacements parait être vraiment heureux...


Toute cette noirceur des personnages est parfaitement servie par la musique lancinante de Jaubert et la mise en scène de Carné qui montre un Havre brumeux, glauque, assez désespérant et dont on pourrait croire que la seule échappatoire pour ces êtres paumés, ce sont ces immenses navires qui partent des quais. Les dialogues également sont particulièrement réussis et brillent par leur portée poétique et tragique, ce qui n'est guère étonnant puisqu'ils ont été écrits par un certain Jacques Prévert... Ils sont parfois mal amenés mais cela ne m'a pas vraiment dérangé tant ces dialogues sont beaux et concourent à cet atmosphère irréel et pesante. Atmosphère et dialogues qui sont probablement les deux grandes qualités de ce film qui ne se distingue par ailleurs pas vraiment par son scénario et parfois par l'interprétation de certains personnages comme Lucien, le truand ; un homme pathétique au possible, trop caricatural pour le coup... Outre ça, ce film est d'une beauté sombre époustouflante et l'on est véritablement happé par la mélancolie de cette oeuvre qui mérite bien sa place dans les rangs des classiques français. D'autant qu'il peut s’enorgueillir de la présence d'acteurs prestigieux comme Jean Gabin, Michel Simon ou la jeune Michèle Morgan.

Nerlim
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 1 sept. 2018

Critique lue 388 fois

6 j'aime

1 commentaire

Nerlim

Écrit par

Critique lue 388 fois

6
1

D'autres avis sur Le Quai des brumes

Le Quai des brumes
SBoisse
7

Des yeux si clairs !

- T’as de beaux yeux, tu sais. - Embrasse moi. - Nelly. - Embrasse moi encore… Michèle Morgan (Nelly), dix-huit ans et les plus beaux yeux du monde, vient de se laisser tomber dans les bras d’un...

le 2 déc. 2015

26 j'aime

4

Le Quai des brumes
Val_Cancun
6

Irréalisme poétique

En dépit de son incontestable dimension mythique, et de sa place d'honneur dans les anthologies du cinéma, ce grand classique français d'avant-guerre me laisse une impression mitigée. Plusieurs...

le 5 août 2016

25 j'aime

3

Le Quai des brumes
Armelle_Barguillet_H
9

Pierre angulaire d'un cinéma réaliste.

Jean (Jean Gabin) déserteur de la Coloniale arrive en camion dans la ville portuaire du Havre. Désabusé et hanté par ses souvenirs de guerre, il cherche à fuir la France. En quête d’un bateau, il...

le 23 oct. 2016

17 j'aime

1

Du même critique

Apocalypse Now
Nerlim
9

l'Horreur en poésie

Apocalypse Now n'est pas qu'un film sur la guerre, c'est aussi et surtout une expérience poétique dans laquelle le spectateur est complètement immergé, jusqu'à la fin. Tout cela au service de ...

le 23 mai 2016

11 j'aime

Sur les chemins noirs
Nerlim
7

Un homme au milieu des ruines

J'ai aimé suivre Sylvain Tesson dans son périple reconstructeur ; j'ai aimé sa volonté farouche de s'échapper autant en lui même que sur les chemins noirs ; j'ai aimé ses diverses réflexions...

le 4 août 2017

9 j'aime

Captain Fantastic
Nerlim
8

Un état d'âme

"La paix de la forêt est une paix de l' âme. La Forêt est un état d' âme" disait Gaston Bachelard. Au sein de la forêt profonde, loin du monde social, où la nature est maître, l' Homme médite,...

le 24 janv. 2017

8 j'aime

8