Des yeux si clairs !
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En dépit de son incontestable dimension mythique, et de sa place d'honneur dans les anthologies du cinéma, ce grand classique français d'avant-guerre me laisse une impression mitigée.
Plusieurs choses m'ont agacé dans le film de Marcel Carné : sa représentation du petit peuple apparaît désincarnée, et parfois les mots de Prévert sonnent faux dans la bouche de ces personnages archétypaux.
Pourtant, une certaine poésie se dégage indéniablement de cette France des humbles, de cette atmosphère brumeuse du port du Havre, de cette cabane en bois au bord de l'océan, de ces cargos qui symbolisent le départ vers un ailleurs impossible.
Le destin fracassé de ces petites gens ne peut laisser insensible, mais on aurait aimé sentir davantage d'authenticité dans les dialogues et les situations du film, terriblement artificiels par moment.
"Le quai des brumes" incarne la mouvance du réalisme poétique à la fin des années 30, souvent moquée à juste titre pour son manque de réalisme, précisément.
La poésie de Jacques Prévert s'avère parfois emphatique et ampoulée, d'ailleurs il est symptomatique que les personnages apparaissent plus touchants lorsqu'ils n'ont pas trop de texte à défendre, à commencer par Michèle Morgan alias Nelly, la jeune fille de 17 ans traquée, dont on retiendra plus volontiers le visage atypique et la fameuse silhouette lors de sa première apparition (le béret et le ciré transparent) que les quelques envolées lyriques.
De même, Jean Gabin est plus à l'aise dans sa facette de militaire pacifiste et désemparé que dans celle d'amoureux transi. Ce qui n'a pas empêché ce couple iconique de s'inviter dans les anthologies du cinéma avec cette réplique pour l'éternité : "T'as de beaux yeux, tu sais".
Les seconds rôles n'échappent pas au paradoxe ambiant : pour un Michel Simon délicieusement ambigu et gluant et un Robert Le Vigan touchant en peintre suicidaire, il faut se farcir un Pierre Brasseur qui surjoue effrontément dans son rôle de petite frappe aussi lâche que revancharde.
La mise en scène de Carné et l'écriture partagent cet aspect irrégulier, entre fulgurances et approximations.
"Le quai des brumes" est donc un film à la fois mémorable et agaçant, et dans le registre du réalisme poétique, j'ai une nette préférence pour "Hôtel du Nord" par exemple, tourné l'année suivante par les mêmes équipes techniques ou presque, mais dans lequel les mots d'Henri Jeanson remplacent avantageusement ceux de Prévert...
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le 5 août 2016
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