Particulièrement astucieux, le titre en dit long sur les pistes de lecture de ce court métrage de l’expérimentateur suisse Georges Schwizgebel. Il est donc question de la créature de Frankenstein, mais dans des conditions très particulières. En effet, le titre fait référence à Marguerite Duras et son roman Le ravissement de Lol V. Stein. Un titre qui laisse la place au doute : dans quel sens faut-il comprendre le mot ravissement ? Est-ce que Lol V. Stein se réjouit de quelque chose ou bien fait-elle l’objet d’un ravissement avec par exemple demande de rançon ? De même, Schwizgebel laisse aux spectateurs de son film, le soin d’en faire une interprétation selon ses propres critères, observations et références. En effet, ce film peut aussi bien être vu comme une sorte de rêve plein de symboles, qu’une fantaisie très personnelle ouverte à de nombreuses interprétations. J’ajoute qu’à mon avis, ici la création artistique est mise en parallèle avec le mystère de la vie.
Après une série de plans sombres et menant à une sorte de laboratoire/atelier, on avance dans une enfilade de pièces nues qui se ressemblent toutes (communication par une simple ouverture, sans porte) au point qu’on a l’impression que le film tourne en boucle. Jusqu’au moment où on constate que la luminosité augmente, au point de devenir insupportable (effet accentué par la bande-son). A ce moment, demi-tour et on réalise qu’on est en caméra subjective, car on sent chaque pas du personnage (effet nettement plus agréable sur la bande-son). Plus on avance, dans des pièces où on vient de passer dans l’autre sens, des différences notables apparaissent. Voilà des objets, d’abord dans des emballages aux formes géométriques précises, puis comme des statues aux formes inachevées et enfin des formes humaines qui s’animent jusqu’à devenir des personnes qu’on voit bouger et même devenir une foule où on distingue le visage caractéristique (démultiplié) de la créature de Frankenstein.
Mon interprétation (sous toutes réserves bien entendu) serait que le premier passage des pièces correspondrait à une réflexion, jusqu’à l’éblouissement (l’idée géniale), le retour correspondrait alors à la mise en œuvre de l’idée, d’abord par des formes un peu grossières puis progressivement plus élaborées, jusqu’à la matérialisation de personnages capables de se déplacer et d’interagir. L’aboutissement pourrait être la créature de Frankenstein. Dans ce cas, le ravissement pourrait être la satisfaction d’avoir pu mener à bien un projet d’abord inimaginable et, pour le réalisateur, de s’amuser d’un ultime tour de passe-passe en guise d’hommage à la puissance de suggestion du cinéma.
Ce film d’une petite dizaine de minutes peut certainement se voir en boucle, chaque vision apportant de nouveaux éléments de réflexion et une multitude d’autres possibilités d’interprétation. Un jeu qui peut agacer, parce que le film produit tout un tas de questions sans apporter de réponse précise. De plus, l’aspect esthétique peut laisser perplexe.
Pour le voir : https://www.youtube.com/watch?v=XmMyx2_4STg