Une folie formelle de chaque instant pour illustrer une pensée en béton armée, Le rebelle fait l'effet d'un pavé imposant dans une mare de bons sentiments. A savoir qu'il ne souffre d'aucun compromis pour se faire aimer de tous, en harmonie totale avec le sujet qu'il dépeint et le personnage au caractère bien trempé qui le porte. Forcément, un sujet aussi peu nuancé peut mettre mal à l'aise, voire inspirer un rejet total. Comme toute oeuvre radicale, elle se doit d'être appréciée avec une once de recul nécessaire, pour en saisir les incroyables qualités, au risque sinon de bloquer sur les théories parfois contestables qu'elle déploie, dans son dernier temps notamment.


Ce qui frappe en premier lieu dans le rebelle, ce sont ses qualités graphiques évidentes. Des noirs et blancs abyssaux dans lesquels on se noie avec délice. Noirs et blancs très contrastés qui donnent à l'image une puissance formelle insolente, prenant toute sa dimension dans cette carrière de pierre, où Gary Cooper et Patricia Neal se rencontrent pour la première fois, lui dans l'ombre, elle en pleine lumière, leur amour naissant commence alors à irradier l'écran. King Vidor joue au maximum avec l’architecture, la discipline qu'il utilise, ainsi que les perspectives graphiques qu’elle offre, comme métaphore de la philosophie radicale à l'origine de son film.


Gary Cooper, dans un rôle en retenue, parfait pour son charisme naturel, incarne un architecte en marge de sa profession, fatigué par les fioritures baroques faites de colonnes travaillées et de moulures lassantes, qui ne trouve son inspiration que dans les grandes lignes et le dépouillement extrême des formes de ses constructions. Homme au fort tempérament, même s'il est rejeté de tous les chantiers qu'il pourrait réaliser, s'il était prêt à faire quelques concessions, jamais il ne daigne retoucher sa proposition : sa vision artistique se doit d'être intouchable. Forcément, un tel parti pris peut faire grincer des dents, voir rendre le personnage détestable. D'autant plus, qu'à ses côté, à part sa future promise, tous ses compères semblent perdus dans une logique de profit facile sans aucune créativité. Le contexte est un peu simpliste, bien irréaliste, mais qu'importe, l'intérêt du film n'est finalement pas que dans la philosophie qu'il prône. Chacun peut se faire son idée à ce propos.


Pour moi, le rebelle a tellement de qualités qu’il ne mérite pas de se faire enterrer pour son idée directrice parfois bancale. Sa mise en scène est magistrale, Vidor parvient toujours à trouver un placement caméra malin dont le point de vue provoque spontanément sur nos visages un petit rictus respectueux. Sa narration ne souffre d’aucune longueur. Alors qu’il ne s’y passe finalement pas grand-chose de palpitant, on se laisse envahir par un récit habilement écrit. Et enfin, ses acteurs y sont magnétiques, le trio qui s’y partage l’affiche s’accordant à merveille.


Il est certain qu’un film aussi peu nuancé que Le rebelle trouvera, en fin de séance, farouches opposants. Sa façon de prôner haut et fort la puissance d’une énergie créative assumée sans aucun compromis, quitte à détruire, pour cela, quelques intérêts communs, peut être rapidement assimilée à une apologie du comportement égoïste. Je choisis pour ma part d’accepter ce trait de caractère, dont Gary Cooper se fait l’écho, parce qu’il permet à son personnage de revêtir un charisme total, une force de persuasion qui m’a réellement transporté. Je l'accepte d'autant plus que King Vidor ne laisse pas son film reposer uniquement sur ce dernier. Il est avant tout pour lui un prétexte à délivrer une histoire d’amour qui sait être touchante, malgré son côté parfois agaçant. Et si cela ne suffisait pas à vous intriguer, ne serait-ce que pour la folie de sa photographie qui lui confère une puissance formelle époustouflante, et son sens inné du récit, Le rebelle mérite qu’on s’y attarde.

oso
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le 28 juil. 2014

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