Sur les terres infertiles de la science-fiction française, le cinéma se tient encore prudemment à distance, et c’est dans la série que les tentatives sont les plus audacieuses. Ceci explique ainsi l’absence de près d’une décennie de Thomas Cailley depuis Les Combattants, occupé notamment par Trepalium et Ad Vitam, expériences dans ce genre qu’il est parvenu à insuffler pour son nouveau long métrage, imaginant une société dans laquelle une épidémie provoque la mutation des humains en animaux.
L’intelligence du dispositif constitue à ne pas faire de ces motifs un premier plan aveuglant, charriant avec lui un cahier des charges et des attentes qui ne pourraient que desservir le récit. Le fait, par exemple, de ne pas commencer au début de l’épidémie, en ouvrant le récit sur une époque où l’on doit déjà vivre avec le phénomène désactive un certain nombre d’invariants, et permet au film de se déployer dans d’autres genres sur lesquels il va se révéler particulièrement à l’aise. La comédie, tout d’abord, dans les liens père-fils pour un tandem assez parfait entre Romain Duris et Paul Kircher, définitivement sur la rampe vers les grands comédiens sur lesquels il va falloir compter à l’avenir. Une étape nécessaire pour conduire vers l’émotion profonde dans ce rapport à l’épouse et mère, déjà perdue vers une nouvelle identité (« je ne sais pas si j’ai peur de la perdre ou de la retrouver »), et qu’ils vont chercher dans la nuit, à la faveur d’une séquence désormais traditionnelle dans le cinéma français familial où l’on s’appuie sur une chanson fétiche, ici « Elle est d’ailleurs » par Pierre Bachelet.
Ce ton étant donné, Thomas Cailley va désormais tresser un récit trépident dans lequel il s’agira de combiner drame intime, angoisse apocalyptique, récit initiatique de l’adolescence et séquences d’action : force est de constater que l’osmose fonctionne à merveille. Sur le terrain des effets spéciaux, quelques manques de moyen peuvent se faire sentir, notamment dans les séquences de l’homme-oiseau, mais la tolérance est de mise lorsqu’on assiste à d’autres séquences bien rythmées (l’attaque dans le supermarché) et toujours généreuses visuellement (les échassiers dans le champ de maïs), d’autant qu’elles cohabitent avec quelques incursions body-horror bien dosées.
Il eut été facile, voire inéluctable, de conduire le récit vers un climax et une surenchère propre au genre, en oubliant en route les enjeux premiers. C’est là la grande force du film : ne pas perdre de vue, garder la mémoire des enjeux en démultipliant les enjeux émotionnels sur la métamorphose, la perte de l’autre et son nouveau rapport au monde. Sur ce plan, Cailley fait la part belle à la nature, dans des séquences à la profondeur croissante, de la forêt à la brume, des plans d’eaux à l’épaisseur des champs, et jusqu’à une superbe immersion dans un lieu primaire où l’espoir d’un renouveau, loin du langage des hommes, pourrait advenir.
Les conflits et la potentielle guerre entre mutants et humains, espèce en sursis, ne sont en réalité qu’un des éléments périphériques d’un récit qui sait savamment ménager tension, action et émotion. L’essentiel réside dans ce retour au trio originel, et l’apprentissage, pour un père à laisser s’épanouir ce qui devient la nature profonde de son fils, après que son épouse a suivi la même voie. Restent les voix, animales, parcourant la canopée, au-delà de la clôture, pour saluer un nouvel ordre, où l’on pourra vivre avec, et, peut-être, vivre ensemble.