Sept ans après L’Âge des ténèbres, Denys Arcand reviens avec ce qui peut malheureusement d’ores et déjà sa classer du côté de ses œuvres mineures. Bien assis sur sa notoriété, le cinéaste s’imite maladroitement en revisitant les faits saillant de sa carrière, parsemant son récit de diners et de conversations entre intellectuels aisés tout en se permettant quelques détours par le système de santé québécois, toujours aussi déficient qu’au début du règne Charest. Que ce soit là la marque d’un cinéaste qui revient immanquablement à ses dadas, qui ne parvient pas à filmer autre chose ou qui s’adonne à des clins d’œil indulgent, ces évocations du Déclin de l’empire américain et des Invasions barbares sont avant tout nuisible au présent film par la timidité de ses propres scènes, versions incomplètes de séquences analogues que l’on retrouverait avec bien plus de verve dans les films cités. En fait le problème vient du caractère utilitaire de son scénario : les scènes ne captent pas la vie réelle de ces petits bourgeois, elles sont soumises à des nécessités scénaristiques servant à communiquer sommairement et de manière à peine voilée les pensées d’Arcand. Pratiquement tous les segments peuvent s’interpréter ainsi, dans un rapport un pour un à la fois évident et peu profond, et les scènes restent collées à l’idée qui les a fait naitre sans parvenir à se développer et à les dépasser, comme elles le faisaient dans ses œuvres les plus connues. On pourrait dire que cette superficialité dans le traitement du sujet s’accorde avec le rapport superficiel qu’entretienne les personnages avec le beau, mais si c’est pour défendre des faiblesses d’écriture de la sorte on ferait mieux de se taire.
Mais alors pourquoi est-ce que j’ai quand même apprécié le film? Est-ce que c’est parce que je ne peux pas rester fâcher contre un film qui me montre, ne serait-ce que brièvement, des images de petits villages enneigés? Cela a peut-être joué dans la balance, cependant la raison principale est cette ambivalence qu’il maintient malgré lui par son esthétique jetable. Car soyons clair, les images du Règne sont d’une beauté de carte postale et les quelques plans au ralenti qui semblent vouloir évoquer une grâce sereine ne jureraient pas dans une publicité sur le charme du Charlevoix. Le protagoniste, Luc, enchaine les phrases vaines sur les mérites de l’architecture et discute entre amis des grands sujets, la vie, l’amour et les autres vérités sur l’âme humaines, les sujets qui transmettent leur prestige à qui s’y frotte, tout ça pour finalement consacrer sa vie à la poursuite de son petit confort, d’une insignifiance agréable similaire à celle des images jolies mais oubliables du film. Luc est un petit bourgeois satisfait de son état avec une ambition raisonnable, jouissant d’une position sociale enviable et sans importance dans le grand ordre des choses. Du haut de sa colline, les maisons qu’il conçoit ne sont que des produits dans lesquelles il est agréable de vivre, et les amours qu’il caresse sont avant tout plaisants. Bien sûr, il veut se convaincre qu’il y a plus. Qu’il est bon le fruit défendu consommé lors d’une escapade torontoise avec son amante, qu’il est beau l’amour retrouvé par les époux ayant traversé la tempête. Les circonstances laissent supposer de grands sentiments, une vérité capable de résister à ce qui est purement circonstanciel, et pourtant le film se termine par un saut dans l’avenir qui fait fi de tout ça en le montrant avec une nouvelle compagne. Toute sa vie n’est que prétention à quelque chose de plus noble pour maquiller sa recherche de confort, un brin d’introspection le montrerait et malgré ça Luc s’en fout. C’est du pipeau mais c’est agréable, sa nouvelle compagne est jeune, jolie et attentionnée, on peut bien se mettre à y croire à nouveau. Après tout, c’est plaisant.
Le film prend donc les grands sujets que sont l’amour et le beau pour les salir, montrer que ces gens ne les voient dans leur vie sous leur forme romanesque que parce qu’il serait décevant de ne pas les voir, mais il n’est pas dégouté pour autant. Faudrait-il être malheureux parce que nous ne sommes pas réellement à la hauteur des histoires qu’on se raconte? Ce n’est pas une nécessité, les anciens époux sont en bons termes et leurs illusions tiennent le coup avec d’autres. Si Arcand se montre toujours aussi critique, il a troqué avec l’âge son dédain pour de l’acceptation, un « c’est ça qui est ça » qu’on exprime en un soupir. Mais bon, malgré mon emportement le film reste avant tout une histoire gentillette où le sous-texte des scènes est souvent trop appuyé, on n’est pas au niveau de ses œuvres les plus incisives. N’empêche qu’il arrive à transmettre une certaine mélancolie, une qui nous suit lorsqu’on se demande ce qu’il est permis d’espérer d’une vie de petit bourgeois.