Sur la trame classique d’une tentative d’évasion dans un pénitencier, avec constitution d’une équipe, magot planqué et rivalité avec l’institution, Le Reptile commence à se distinguer par son appartenance à une nouvelle ère, celle des 70’s. Plus explicite, plus sordide, le film ne s’embarrasse plus d’un langage polissé ; les hommes rustres, les femmes chaudes et armées et même un couple gay dressent le portait satirique d’une société sans fard. L’atmosphère assez proche d’un Peckinpah pour son cynisme ou d’un Leone pour son humour étonne vraiment pour un film de Mankiewicz, surtout lorsqu’on considère certaines scènes de comédie un peu bouffonne, de baston générale à coup de poulet ou de bains forcés plus proches de Bud Spencer que d’Ava Gardner.
Le film est l’occasion d’un beau duel au sommet entre Fonda et Douglas, le patriarche héritier potentiel du western classique face au héros non moins conventionnel du grand film hollywoodien, ici retournés comme des gants. Si Fonda reste longtemps fidèle au modèle, la raclure que compose son comparse est proprement jubilatoire, dénuée de toute morale et obnubilé par son propre intérêt.
Car le véritable intérêt du film est bien là : tisser des fils narratifs grossiers pour mieux les déchiqueter. D’un côté, l’ambition humaniste de Fonda, directeur de prison soucieux de réinsérer ses détenus en humanisant leur structure. De l’autre, la solidarité du groupe des candidats à l’évasion, chacun ayant sa spécialité et l’union faisant la force. Le dilemme de Douglas, à leur tête, est qu’il devient simultanément le leader du projet du directeur, qui voit s’épanouir sa petite communauté utopique.
[Spoils]
La malice acerbe du récit consiste à laisser germer ces ressorts et conduire le spectateur vers une convenance morale que le dernier tiers du film (un brin long et mou dans sa première partie) va totalement dévaster. Envolées, les bonnes résolutions, l’amitié et les ébauches d’une civilité nouvelle : on flingue, on trahit, on renie des principes qui semblaient solides comme le roc, et l’on s’enfonce avec jubilation dans la fosse aux serpents.
C’est donc sur le modèle d’un film d’action plutôt décomplexé que Mankiewicz choisit, pour son avant dernier film, de distiller un fiel qui n’a jamais quitté sa filmographie : avant le duel étouffant du Limier, c’est assez déconcertant pour séduire, même si l’on est assez loin du panache de son œuvre passée.

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Sergent_Pepper
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le 13 oct. 2014

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