"Like asking a pack of coyotes to keep quiet about a dead horse."

Quand on voit la dénomination de western apposée sur une œuvre réalisée par Joseph L. Mankiewicz, la (ou plutôt "ma") première réaction est de l'ordre de la surprise, quand on est ne serait-ce qu'un peu familier avec sa filmographie (Le Limier, Ève, Chaînes conjugales, Cléopâtre, L'Aventure de Mme Muir et No Way Out en ce qui me concerne), au sujet de ce qui semble être son unique incursion dans le genre. Et les premières séquences ne mettent pas vraiment en confiance : si le film s'inscrit très vite dans la catégorie des "westerns atypiques", loin du carcan moral et souvent manichéen de son ascendant classique, il y a quelque chose de très décalé dans le ton, dans l'utilisation de la musique et dans les accents de comédie impromptue qui s'invitent étrangement dans une scène de hold-up familial. Un mélange déstabilisant de violence et de courtoisie. Mais peu à peu, à mesure que le style se pose et que l'on s'y accoutume, à partir du moment où la galerie bigarrée de personnages est introduite (et accessoirement envoyée dans une prison isolée au milieu du désert), on finit par réunir les prédispositions nécessaires pour éventuellement aborder la suite des événements de manière beaucoup plus sereine.


Ironie omniprésente, enchaînements inattendus, faux-semblants psychologiques, ambivalences morales : tout le style caractéristique de Mankiewicz est bien là, en filigrane, caché sous le vernis du western qui aurait pu suggérer un développement différent. Les apparences sont trompeuses, les stéréotypes sans cesse malmenés, et sans réduire cette dimension au final qui voit le personnage auquel on s'attendait le moins filer avec le magot, le film brosse un portrait choral plutôt original et bariolé. There was a crooked man (titre original hautement suggestif, avec cette forme indéfinie, puisqu'on aura une idée de l'identité de cet escroc en constante évolution) n'hésite pas à jouer la carte de la surprise et de l'originalité à tous les niveaux : les femmes sont plutôt en retrait mais érotisées de manière très franche, le shérif en la personne de Henry Fonda est avant tout dépeint comme un benêt particulièrement niais (au point d'entrer en négociation avec un malfrat peu amène en déposant son propre pistolet, une très mauvaise idée), Kirk Douglas joue constamment avec la dualité de son personnage aussi doux que manipulateur (et son look si étrange lorsqu'il porte des lunettes, avec un grand sourire), et un couple homosexuel dont le portrait soigné a de quoi étonner pour l'époque et pour le genre. Et bien sûr, comme souvent chez Mankiewicz, spectateurs comme personnages n'auront de cesse d'être dupés à leurs échelles respectives.


La chose la plus inattendue est sans doute l'horizon vers lequel le film se dirige à la fin, alors que Kirk Douglas révèle son vrai visage, lors de l'évasion presque finale. Une forme de misanthropie féroce se cristallise à ce moment-là, sans jamais sombrer dans la lourdeur ou l'insistante inutile. La pluie de morts qui clôt le film est à la fois assommante de noirceur et presque drôle, surtout si l'on se concentre sur le personnage de Kirk Douglas. On aurait presque envie de le plaindre en dépit des nombreuses saloperies dont il aura été l'auteur. Dans sa dimension de jeu de massacre principalement personnifié par les deux têtes d'affiche vieillissantes, en soulignant avant tout leur caractère hypocrite et lâche, Le Reptile malmène quelque peu les figures traditionnelles du héros et déboulonne, dans une certaine mesure, le mythe. Un (petit) pavé aussi réjouissant que déstabilisant.


http://www.je-mattarde.com/index.php?post/Le-Reptile-de-Joseph-L-Mankiewicz-1970

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le 15 déc. 2017

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Morrinson

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