Les éléments qui composent le récit à venir dans Le Retour des hirondelles ont tout pour le cocktail idéal du misérabilisme : un mariage arrangé entre des laissés pour compte, un homme soumis à ses frères et une femme stérile en plus d’être incontinente, le tout dans la ruralité chinoise en voie de dévoration par le capitalisme sauvage…
Pourtant, Ruijun Li (dont c’est le second long métrage) entend bien opposer très rapidement à ce contexte toute la noirceur qu’il devrait légitimement charrier. Car dans les profondeurs de leur soumission, les désormais mari et femme vont trouver les ressources de la bienveillance et de l’attention portée à l’autre pour affronter l’adversité. Même s’il vire parfois à l’idéalisme dans le portrait d’êtres profondément bons et altruiste, le récit entend bien traquer les forces à même de laisser du sens dans un monde qui s’effondre. La clarté de la photographie et l’attention portée à la composition de l’image accompagnent cette ambition d’aller chercher la beauté là où on la croyait perdue. Le film évolue ainsi vers un chant bucolique au fil des saisons, saluant un travail ancestral qui semble faire fi des progrès d’un monde devenu fou : le travail à la main, à l’aide d’un seul âne, voit ainsi surgir la vie du sol, et bâtir, à partir de la boue elle-même, les briques qui pourront édifier un foyer. Les visages burinés par l’effort et les épreuves d’un passé à peine évoqué se dérideront peu, mais les gestes d’un couple toujours uni, en attente du retour de l’autre font écho dans une communauté qui les voit comme un anomalie.
Car cet havre de bienveillance n’empêche nullement le monde alentour de poursuivre sa course folle : alors qu’on rachète une bouchée de pain les maisons abandonnée de ceux qui sont partis à la ville pour les raser, on planifie sans sourciller la fin d’un monde par la bétonisation galopante et l’essorage final d’une population. La métaphore du mari dont on prélève le sang pour la santé du propriétaire terrien ne nécessite aucun décryptage : dans ce monde, c’est à l’épi d’avoine et aux animaux qu’on s’en remet pour trouver encore du sens et, dans l’élan de la vie, un sens à la croissance.
On imagine bien que le dénouement suivra le cours de l’Histoire, et non celle des individus. La fable noire aura permis, le temps de quelques saisons, de saluer ceux qui s’étaient modestement accordés au rythme de la terre avant que ce que certains nomment le progrès ne viennent la dévorer.