Li Ruijun est né en 1983 à Gaotai, dans la province de Gansu, aux confins du Désert de Gobi, là même où il a inscrit le tournage de son nouveau long-métrage, « Le Retour des hirondelles ». Le cinéaste n’en est pas à son coup d’essai, avec déjà plusieurs longs-métrages à son actif, mais c’est là le premier qui nous parvienne en France.
Explorant volontiers les désordres causés dans la sphère domestique par les décisions étatiques, Li Riujun quitte, pour la circonstance, les villes, et centre son scénario sur deux êtres dédaignés par leur propre famille : Guiying, nom signifiant « fantôme », (Hai Qing), contrefaite et stérile, devenue incontinente à force d’avoir été frappée dans son jeune âge, et Ma, nom signifiant « cheval », (Wu Renlin), « le Cadet », ainsi que le désignent ses proches, encore célibataire malgré son âge avancé. Les deux familles voient dans le mariage qu’elles projettent d’arranger l’opportunité de ne plus avoir à leur charge ces deux êtres qui leur pèsent.
Contre toute attente, de l’union de ces deux malheurs, naîtra du bonheur. Le bonheur de deux êtres jusqu’alors honnis et méprisés, émerveillés chacun de se découvrir soudainement précieux pour l’un de leurs semblables. Un lien timide, prudent, dont l’image, patiente, de Wang Weihua, suit la lente construction, au fil des travaux agrestes, et au rythme des animaux qui constituent leurs principaux témoins : un âne, présent avec une constance et une fidélité troublantes, une portée de poussins, éclos dans un carton magique dont on ne comprendra que tardivement la finalité, des cochons, et enfin les hirondelles éponymes, aux nids desquelles Ma apporte une si grande attention.
Cette construction du lien sera redoublée par celle d’une maison, puisque le couple se verra délogé de son premier nid par des mandataires dénués du moindre état d’âme. Ce premier choc de l’intime et du politique confèrera au long-métrage, également monté par le réalisateur-scénariste, une dimension presque ethnographique, qui nous permettra d’assister non sans curiosité et admiration à l’édification, à la fois artisanale et savante, d’une maison rurale dans la Chine profonde.
Mais ce premier choc, au bout du compte presque heureux, puisque occasionnant une démarche doublement constructive, en rencontrera un second, plus inquiétant, et qui fera remonter les souvenirs fascinés et médusés de « Black Blood » (2011), film magistral, inoubliable, de Zhang Miao-Yan. Les deux démarches ont en effet pour point commun de dévoiler au spectateur européen de quelle façon les paysans pauvres de la Chine peuvent être utilisés par les puissants ou par des réseaux trafiquants non comme vaches à lait, mais comme bêtes à sang. Toutefois, là où le chef d’œuvre de l’aîné chinois prenait cet acte de vampirisme moderne et légal pour objet même de son film, la thématique n’est ici que latérale, mais non moins impressionnante ; et scandaleuse.
Le chromatisme de la Chine a longtemps été associé, pour l’Occident, au rouge et au noir denses et lumineux de ses laques, ou encore aux teintes délicates et pastels de ses porcelaines. Avec le cinéma, et des maîtres tels que Wang Bing, ou bien ici Li Riujun, elle prend de façon infiniment émouvante, infiniment humaine, les couleurs de la terre et de la poussière.
Critique également disponible sur Le Mag du Ciné : https://www.lemagducine.fr/cinema/critiques-films/le-retour-des-hirondelles-film-li-ruijun-avis-10057054/