Un tel titre ne peut que faire travailler l’imaginaire du spectateur. Aucune déception de ce côté-là, puisque le cœur de la narration incite à un rapprochement avec Adam et Eve dans le jardin d’Eden. En effet, Teuvo Tulio, réalisateur finlandais méconnu, filme un mélodrame imprégné de morale chrétienne dans un décor naturel qu’il détaille à loisir.
Le rêve dans la hutte bergère se concrétise par des moments privilégiés entre Sirkka (Sirkka Salonen) et Aarne (Kaarlo Oksanen) qui se découvrent une réelle fascination réciproque en dépit de tout ce qui les oppose. Sirkka est une jolie blonde aux origines modestes qui va sur ses 18 ans. Aarne est un propriétaire (exploitation agricole) qui a la fougue et l’insouciance de la jeunesse aisée. Il n’aurait jamais dû rencontrer la jeune fille (qui ne craint pas la solitude), mais un accident la place sur son chemin. Dès qu’il la voit, Aarne n’a plus qu’une envie, faire Sirkka sienne.
Toute naïve qu’elle soit, Sirkka a un peu de mal à comprendre ce qu’Aarne peut lui trouver. Certainement sa fraicheur, sa douceur et sa candeur. Quant à elle, trouver un emploi lui suffirait amplement. Elle sera donc bergère, employée par Aarne dont elle apprécie la fougue, l’assurance et le simple fait qu’il la regarde, émerveillé.
Tout irait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes. Sauf que nous sommes dans un mélodrame dont l’argument vient tout droit du cinéma muet. Aarne et Sirkka ne pourrons pas se contenter de s’aimer dans la hutte bergère. Le monde les entoure et ils lui appartiennent. Dans ce monde, Aarne n’est pas le gentleman-farmer irréprochable qui conviendrait à Sirkka. Il joue, fait des dettes et réalise des opérations bancaires plus que douteuses. De plus, il se montre lâche. La mère étant malade, Aarne dirige la ferme familiale (Ylitalo) avec son frère Urho (Kyösti Erämaa), dont le caractère est l’opposé du sien. Les tensions sont inévitables, renforcées par l’action de Kirsti (Kirsti Turja), jolie brune employée des frères et amoureuse d’Aarne. D’autre part, l’action se passe dans une contrée assez isolée où tout tourne autour de la ferme. Alimentées par les jalousies, les rumeurs courent. Enfin, Sirkka se montre imprudente. Elle commet des fautes que ses semblables lui feront payer d’autant plus chèrement qu’elle n’a aucun autre endroit où se réfugier.
Tombé dans l’oubli, ce film mérite d’être (re)découvert malgré quelques défauts qui sautent aux yeux du spectateur de 2015. A la décharge de Tulio (une douzaine de longs métrages à son actif), le film date de 1940 et il a probablement été tourné avec des moyens limités. Si le scénario est cosigné(Ivar Johansson et Henning Ohlson), le réalisateur est son propre producteur. Le noir et blanc met en valeur de nombreux plans de nature (animaux et paysages) aux belles images bucoliques qui semblent sa marque de fabrique. Cette sérénité, ce calme sont perturbés par l’irruption d’Aarne dans la vie de Sirkka (il dirige une carriole en épuisant son cheval, comme s’il se prenait pour Ben-Hur). Dans de nombreux plans, le son est remplacé par de la musique, les moments cruciaux (en particulier la bagarre sauvage entre les deux frères) ponctués par un arrangement de la Toccata et fugue en ré mineur de Bach (choix qui renforce judicieusement l’effet dramatique). Par contre, l’absence totale de son surprend dans des situations plus simples (un fagot de bois qui tombe sans qu’on n’entende rien), au point qu’on peut se demander si certains plans n’ont pas été tournés sans son, les dialogues pouvant avoir été bricolés au montage. L’influence du muet est également manifeste dans le jeu des acteurs.
Plus gênant, le procès de Sirkka, finalement condamnée sur un simple témoignage invérifiable (Urho, frère de son employeur, fait partie des jurés). Et l’erreur qui ne passe plus, le réquisitoire (expéditif) n’est opposé à aucune plaidoirie, comme si Sirkka ne bénéficiait même pas d’un avocat commis d’office.
Urho est longtemps oublié par la narration alors que, lors de sa première confrontation avec Aarne, il montre clairement qu’il compte s’opposer à ses méthodes. En gros, Aarne est le jouisseur insouciant alors qu’Urho est le travailleur sérieux, héritier des valeurs morales. Sirkka ne semble avoir aucun compte à rendre à Urho, ses taches dans la ferme familiale restant bien vagues. On devine que cela attise l’antagonisme fraternel.
Les malheurs qui s’abattent sur Sirkka sont tellement prévisibles que Kirsti a beau jeu de les deviner. Celle-ci est régulièrement en bisbille avec un employé (plus vieux qu’elle) de la ferme Ylitalo, qui, avec son franc-parler réjouissant, marque bien plus qu’Aarne, somme toute assez mièvre. Enfin, Sirkka (la blonde) et Kirsti (la brune) arborent des permanentes bien soignées pour des bergères.
Note (Encyclopédie) : La circassienne est une robe (voire une étoffe) confectionnée à l’origine en Circassie (région du Caucase).