Bergman s'est toujours intéressé à l'architecture télévisuelle. Le cadre de Riten est particulièrement bien pensé pour la télévision, tant bien que le metteur en scène restitue des plans parfaitement calibrés pour le matériel télévisuel. Mais surtout, dans une forme de complémentarité de son œuvre cinématographique, Riten est bien plus explicite, mais en prenant le spectateur non pas par la main, mais par l'oreille, pour lui montrer la délicatesse des histoires disjointes. Par les oreilles puisque le support musical tient compte d'une sobriété propre à un certain Bergman, mais surtout que la bande sonore participe pleinement à la métamorphose de cette situation déjà intenable. Celle-ci participe particulièrement à rendre le spectateur malheureux, au mieux surpris, au pire déçu, face à la séquence de viol lors de l'interrogation d'Ingrid Thulin. Cette bande sonore est vraiment une surprise, puisqu'elle est vraiment stimulante, prenant au cœur le pauvre spectateur désabusé de ce rite difficilement tenable pour nos trois protagonistes.
Comme l'eut-il été dit, on ne peut reprocher le format télévisuel, puisqu'il est idéalement adapté à l'œuvre. Suffisamment perturbant pour la télévision, peut-être trop pour le cinéma, Bergman propose une vision violente de son œuvre, où les personnages n'hésitent plus à recourir au meurtre pour finir une quelconque représentation, où l'on retrouve une femme impactée par la folie, trompant son homme dans son indifférence quasiment gênante. La photographie et le cadre sont aussi des moteurs essentiels au bon fonctionnement de l'entreprise télévisuelle, car il y a une réelle composition de l'image, chaque plan est conçu méticuleusement par Bergman pour mettre en évidence la démence ou la détresse de certains personnages. Les plans sur le faciès de notre triste collaborateur restent parmi les plus dignes du film, avec notamment, en continuant de décrire cette scène, ce rapport continuel entre cinéma et théâtre.
Ingrid Thulin symbolise, à travers l'œuvre de Bergman, cette femme malade, désabusée, rongée par des remords et par une consommation peut-être trop excessive de liqueurs oisives. Ingrid, ou plutôt Claudia Monteverdi, ne connaît ni son âge, ni sa maladie, ni son identité. Elle est nue lors du fameux rite final, dans une posture stricte. Idole de ses deux compères, elle se perd dans une sexualité exacerbée, sans remise en question. Thulin excelle dans ce rôle de composition où elle sert d'objet, qui préfère oublier ses voluptés par une alcoolémie quotidienne trop importante, fantastique : au demeurant mystique, elle affiche des talents pervers pour déstabiliser chaque homme à qui fait-elle face. Bergman persiste encore à afficher une nouvelle "femme" dans son œuvre, mais au grand plaisir ! Ingmar reste tout de même le cinéaste décrivant pour le mieux la femme, dans ses travers mais surtout dans sa vitalité. Dans sa mise en scène, Bergman rend hommage à la plastique d'Ingrid, mais surtout à sa prestation : gros plan à la Dreyer avec le visage de Thulin en larmes... petite subtilité jouissive. Sa nudité participe aussi à la création de son personnage mystique : passant de femme à déesse lors du rite, elle apparaît telle la chose démoniaque que les deux artistes exploitent.
Mon cher Bergman ne cesse de me surprendre, façonnant dans chacune de ses œuvres une vie, des humains, des gens qui existent et qui ont une histoire, mais avec toute la compréhension et l'amour que porte le Suédois à leur encontre ! A fortiori, ce téléfilm ne devait être qu'un drame psychologique, pourtant il devient plus fort et plus troublant qu'un simple "drame". Face aux ressentiments de peur et de malaise, l'œuvre devient horreur, signant une fin particulièrement terrifiante. Riten s'inscrit encore dans une large filmographie que j'apprécie fortement, ne me décevant (pour l'instant) toujours pas, et surtout, parvenant encore à m'impressionner...