Le Roi
6.3
Le Roi

Film de David Michôd (2019)

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L'annihilation de l'individu et de ses idéaux dans l'engrenage du pouvoir, Hal l'a vu chez son père, roi d'Angleterre perdant son humanité dans les conflits sans fins de son royaume, et il a décidé de partir mener une vie insouciante dans les quartiers populaires. Par un concours de circonstances, Hal va pourtant être obligé de lui succéder et devenir le roi Henri V. Une fois sur le trône, le jeune homme tente d'insuffler une nouvelle ère à l'opposé du règne de son père en pacifiant les querelles intestines et en unifiant le pays mais un conflit encore plus important avec la France grandit et menace de l'emporter à son tour dans les abysses belliqueuses induites par sa position...


Pendant les trois-quarts de sa durée, le nouveau film de David Michôd (les excellents "Animal Kingdom" et "The Rover") va suivre les déchirements quasiment schizophréniques entre Hal, le jeune homme défini par ses convictions naïves mais justes, et Henri V, le roi dont le pouvoir est en train de l'engloutir dans les ténèbres. Parfaitement véhiculée par les traits juvéniles d'un Timothée Chalamet semblant littéralement porté le poids des responsabilités de son personnage sur ses frêles épaules, la lutte interne qui le gouverne va aussi s'incarner dans la multiplicité des points de vue de ses conseillers et, plus particulièrement, entre deux d'entre eux aux origines différentes. D'un côté, Falstaff (Joel Edgerton, également coscénariste), le héros de guerre du peuple et compagnon lumineux de Hal durant ses années loin de son père, et, de l'autre, William Gascoigne (Sean Harris qui ressemble physiquement parfois un peu trop à une certaine version de Perceval), un homme bien intégré dans les arcanes du pouvoir et dont les connaissances de leur fonctionnement vont guider le jeune roi dans ses décisions. Au-delà même des personnages, tout ce qui entoure Hal le renvoie constamment à cette idée que le pouvoir corrompt intrinsèquement tout ce qu'il touche, l'objectif de la caméra de David Michôd s'attarde en effet souvent sur une jeunesse usée et sacrifiée par les conflits des hautes sphères ou encore sur d'autres castes se complaisant dans une opulence absurde (coucou le clergé !). Toutefois, c'est bien sûr le conflit avec ces satanées Français menés par l'odieux Dauphin de leur roi (Robert Pattison pas vraiment servi par l'approche de son personnage) qui va accélérer la croissance de la noirceur se répandant en Hal. Tout le discours du film en ce sens atteindra son paroxysme lors d'une séquence absolument magnifique sur le champ de bataille où le personnage de Joel Edgerton (et donc symbole de la part d'humanité de Hal) se verra emporté dans une marée humaine de soldats en train de combattre avant que Hal décide à son tour d'y plonger sans savoir s'il parviendra à le (la) récupérer. Devant l'issue de ce combat, le film aurait dû s'arrêter là, sur les mots prononcées par Henri V quant au sort des survivants du camp adverse, "Le Roi" aurait pu ainsi s'achever sur une note aussi pessimiste que fataliste vis-à-vis de la condition humaine qui aurait répondu avec force à la qualité des développements nous ayant conduit jusqu'à ce sombre aboutissement.


Hélas, à ce stade, il reste encore une petite demi-heure au film qui va s'avérer parfaitement inutile et, pire, venir amoindrir la bonne impression générale que l'on en avait. Effectivement, en n'ayant plus grand chose à raconter de nouveau (sinon l'arrivée du personnage de Lily-Rose Depp), ce dernier acte ne va faire qu'expliciter ou ressasser ce qui avait été suggéré jusqu'alors et va même réduire l'intelligence qui émanait du film en un vulgaire prétexte à une révélation finale qui n'avait absolument pas lieu d'être tant on l'avait déjà comprise en amont. Notre séparation avec "Le Roi" méritait tellement mieux que cette conclusion scénaristique juste bonne à offrir une porte de sortie facile à son personnage principal...


Bon, cela dit, ne faisons pas l'erreur de réduire "Le Roi" à ce dernier virage loupé car, pendant la majorité de sa durée, le film de David Michôd a démontré bon nombre de qualités à tous les niveaux pour être un représentant du genre historique solide (adapté des "Henri" de Shakespeare, rappelons-le) et pertinent pour exposer les tenants et aboutissants de son discours sur bien des formes. Il est juste dommage qu'il nous laisse sur une note décevante et si peu représentante de tout ce qui a précédé.

RedArrow
7
Écrit par

Créée

le 1 nov. 2019

Critique lue 793 fois

10 j'aime

RedArrow

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