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Un an après l’essai de David Mackenzie sur la révolte écossaise du XIVème siècle dans Outlaw King, Netflix remet le couvert du film historique en convoquant un fidèle de la plateforme, David Michôd. Casting tendance (Chalamet, décidément sur tous les fronts, Pattinson en vilan français, et un petit quart d’heure de Lily-Rose Depp), assorti de Joel Edgerton (également à l’écriture et la production) en Falstaff, qui, s’il ne convoque pas la truculence de Welles, renvoie en revanche furieusement à l’épaisseur virile de Russel Crowe.
Les passages obligés d’une telle entreprise sont bien présents : le récit initiatique d’un jeune roi qui n’en demandait pas tant, et préfère se prémunir du panier de crabe qu’est la cour ou la conduite d’un royaume a déjà été vu mainte fois, et la métamorphose progressive de Chalamet, de fils répudié à Henri V est prévisible, d’autant qu’on a connu le comédien plus à l’aise dans d’autres types de compositions.
Pourtant, le film sait ménager un véritable intérêt. Tout d’abord par son audace, puisqu’il ne sacrifie pas à la ponctuation traditionnelle action/pause dialoguée, privilégiant sa propre structure qui fait la part belle aux échanges et aux intérieurs : Le Roi est un film plutôt lent, dans lequel prime l’initiation aux arcanes du pouvoir : le jeune homme doit apprendre à assumer la relève d’un despote, assurer une transition inverse à ses élans belliqueux tout en tenant compte des attentes de ses sujets. La manière de distiller cet apprentissage au fil des échanges avec deux figures majeures (Sean Harris en Gascoigne, Edgerton en Falstaff) est l’un des points forts de l’écriture : sans temps mort, avec aisance, Michôd établit une carte complexe du territoire en circonférence du trône, et la ligne de crête aigue sur laquelle le monarque doit trouve son équilibre. Ainsi de cet échange sur les attentes du peuple, cette force invisible mais dont on doit tenir compte, et qui jusqu’à la fin, sera tenu hors champ, comme pour renforcer la dimension théâtrale assumée du film.
L’esthétique se met elle aussi au service de cet angle : la photo retranscrit efficacement la froideur des intérieurs, s’attardant de temps à autre sur des tableaux saisissants sans jamais basculer dans l’esthétisme formaliste.
Bien entendu, le récit converge vers une promesse plus dynamique, celle de la fameuse bataille d’Azincourt, qui donnera son lot de mêlées boueuses et permettra au roi de se soumettre à une nouvelle épreuve, celle du terrain. Après le beau siège permettant un ballet de catapultes enflammées, le spectateur a donc droit aux différentes stratégies qui ont fait entrer dans l’histoire cette historique victoire. Mais le retour aux échanges politiques viendra savamment conclure le récit, qui prouve une nouvelle fois que les scènes épiques n’en constituaient pas la fin propre.
Car si l’on y réfléchit bien, toute la structure de cette apprentissage fonctionne sur des duos successifs, qui confrontent Henri à des interlocuteurs répartis en deux camps : les opposants (son père, le dauphin de France, majoritairement), et les adjuvants parmi lesquels il va falloir séparer le bon grain de l’ivraie. Et sur ce point, les échanges avec le Roi de France et, surtout, sa fille Catherine vont être déterminants pour assurer au roi la teneur du pouvoir. Ce revirement donne une saveur nouvelle à un film qui aura su faire de cette irrigation de la fiction dans l’Histoire le moteur d’une réflexion réellement sensée. Une parole vraie n’est pas seulement rare, elle est le plus souvent cruelle. Et cette violence, au contraire de celle du champ de bataille qui mène à la victoire, conduit à la sagesse.
(7.5/10)
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le 3 nov. 2019
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