The King of Kings (Cecil B. de Mille, U.S.A, 1927, 2h35)

Biographie hagiographique s’il en est, ‘’The King of Kings’’ est une œuvre d’une grande simplicité, qui semble avoir été faite de manière à ce que les différentes interprétations, du livre vers l’objet filmique, soient le moins présentes possible à l’écran. Dans le processus de création d’un film il existe plusieurs étapes, faisant passer un scénario à l’état brute entre différentes mains, subissant diverses modifications, pour un résultat final souvent altéré.


Avec cette adaptation, il apparait vraiment que Cecil B. de Mille se soit abstenu de toute orientation particulière autre que son obédience. En effet, ce qui est présenté à l’écran est une vision totalement épurée du Nouveau Testament, comme un biopic minutieux, cherchant à retranscrire le plus fidèlement possible la vie d’un homme. Portée par le prisme de la foi de son metteur en scène.


Influencé par la théologie épiscopalienne, branche étasunienne de l’anglicanisme, non reconnu par l’Église Catholique, ni Orthodoxe, c’est une vision assez austère des écrits bibliques qui est présenté, dans une tradition héritée du protestantisme. Ainsi dans ‘’The King of Kings’’ les évènements ‘’magiques’’ sont minimisés. Les miracles du Christ assez peu nombreux, en appellant plus à la volonté de croire de chacun.


Au-delà du religieux, le métrage s’évertue à faire une reconstitution d’époque réaliste, avec la présence de l’Empire Romain en terre de Judée, et ses élites corrompues, les mêmes qui participent à l’exploitation du peuple. Des élites politiques, mais aussi religieuses, garantes proclamées du culte, qui voient en Jésus un agitateur, un provocateur, un perturbateur, qu’il est important de stopper, avant qu’il n’entraine la Judée vers la révolte.


Il se retrouve dans ce film les craintes de ce qui faisait (déjà) le cœur de ‘’The Ten Commandments’’ en 1923. La peur de voir la société s’effondrer sous le poids de l‘obscurantisme véhiculé par des leader politiques inefficients. Il ne faut pas oublier qu’au cours des années 1920 aux États-Unis, les quatre présidents qui s’y succèdent sont de vieux Républicains (et un Démocrate) fatigués, et en décalage totale avec leur temps, donc avec leur peuple.


‘’The King of Kings’’ rappel l’importance de ne pas trop s’éloigner des enseignements du Christ, au risque de s’égarer, comme le démontre le plan final. Jésus y apparaît en surimpression devant le décor d’une ville américaine, avec sa crête de buildings et ses cheminées. En plus de faire une très belle pochette pour l’album d’un groupe de rock chrétien, s’affiche en grand le message ‘’I am with you Always’’. Cette ultime séquence, qui fait un bond dans le temps, créée un lien direct entre le message du prophète et l‘identité (le mot est lancé !) américaine.


L’un ne va en effet pas sans l’autre, puisque les États-Unis se sont construits dans la lumière supposée de ces écrits religieux. S’ils se perçoivent tel un phare orientant le monde, c’est parce la Bible, et encore plus les Évangiles, occupent une place primaire dans la culture américaine. Au-delà de la croyance, aller à l’église, se montrer dévot, remercier le seigneur pour ce qu’offre la vie, sont des moyens de se faire accepter par une communauté pour s’y s’ancrer.


Ce n’est pas pour rien que les billets de banque arborent la devise ‘’In God we Trust’’. Que le Président.e américain élu doit prêter serment sur le livre de son culte. Car en tant que nation née de Dieu, tous les dogmes sont reconnus, sans distinctions. Là est à trouver le message universel des écrits bibliques, perceptible dans la vie quotidienne de la population.


Par sa nature épurée, ‘’The King of Kings’’ en revient aux enseignements élémentaires de Jésus de Nazareth, en s’attardant sur la dimension humaine de l’homme touché par le divin. Jésus est ainsi construit uniquement à travers le texte. Il en retire alors la forme type de l’imaginaire qui l’entoure. Un homme taciturne, triste ou mélancolique, toujours prêt à aider son prochain, à pardonner les erreurs des autres, à porter le poids des pécheurs sur son dos…


L’iconographie s’inspire ouvertement de l’art chrétien, peintures et sculptures, qui appuient le fondamentalisme textuel. Les moments clés de sa vie sont déclinées au travers d’une picturalité née de l’inconscience populaire. Il n’y a pas l’envie de faire le portrait d’un simple être humain, mais bien celui d’une idole. Et Jésus est filmé comme tel.


Avec une mise en scène épique, malgré la technologie vétuste, Cecil B. de Mille offre une profondeur de champs remarquable, à l’aide de décors minutieux, pour retranscrire parfaitement la Judée du Ier siècle. Celle où Jésus prêche et y accomplit ses miracles. Le cas de Lazare est en ce sens très ambiguë, puisque Comme dans les évangiles il en va de l’interprétation, si oui ou non il est ressuscité. Jésus n’est pas non plus montré en train de marcher sur l’eau.


Les ‘’miracles’’ accomplit le sont selon la foi du spectateur. Comme pour les écrits, il est libre chacun d’y voir ce qu’il souhaite. Et c’est pourquoi Cecil B. de Mille remplit parfaitement son pari, car étant lui-même très croyant, il délivre une œuvre dans le respect de sa foi, tout en respectant celle des autres. C’est pourquoi, plus de 90 ans après sa sortie et bien, mis à part la technicité, le propos du film est resté intact. Car comme les Évangiles, il se veut universel.


Pour exemple, craignant les comportements de ses deux acteurs stars, le cinéaste prit le soin de leur faire signer, avant le tournage, un agrément dans lequel ils s’engageaient à ne pas se compromettre dans des productions qui remettraient en question leur nature ‘’sacrée’’. Pour les cinq ans suivant la sortie du film. Ou encore, Chaque journée de tournage se terminait par une prière collective, menée par des pasteurs présents sur le plateau.


La démarche est pieuse, et une réelle volonté d’authenticité touche l’ensemble du métrage. S’il n’a rien de réaliste, d’un point de vue historique, il en est tout l’inverse en ce qui est de la représentation du texte religieux. Jésus resplendi dans un halo de lumière, qui le démarque du commun. La séquence de la crucifixion prend le soin de donner au comédien la position à l’exact des représentations de Jésus sur la croix. Avec les plaies minutieusement placées.
‘’The King of Kings’’ est la résultante d’un travail pieux et rigoureux, porté par un cinéaste ayant contribué à faire évoluer le cinéma. Un pionnier, parfois un peu sulfureux avec ses positions extrêmes, dans le politique comme dans le religieux. L’œuvre finale demeure dès lors indissociable de la patte de son auteur. Ainsi que le reflet d’une époque.


Il serait amusant de voir à l’heure d’aujourd’hui une œuvre similaire. Cela paraîtrait certainement complétement anachronique et dépassé. Or en 1927 le film se révèle moderne, comportant même deux séquences en technicolor, révolutionnaire pour l’époque. Comme toujours, Cecil B. de Mille su mettre les moyens nécessaires pour raconter une histoire qu’il estime d’exception, à l’origine du culte le plus répandu dans le monde. Rien que ça.


À voir comme un objet de curiosité, une sorte de blockbuster biblique, avant même l’invention du ‘’blockbuster’’. ‘’The King of Kings’’ est bien plus accessible qu’il peut y paraître, sous sa couverture très conservatrice et sa dimension hagiographique. L’empêchant de prendre la moindre liberté avec le matériau original. C’est là la proposition pieuse d’une représentation scrupuleusement chrétienne de la vie du Messie. Au geste prêt.


-Stork._

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le 28 avr. 2020

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