Critique initialement publiée sur CloneWeb.net
Tout a commencé en 1950. Oui, en 1950 quand Osamu Tezuka a publié les premières pages du Roi Léo dans le magazine Manga Shonen. Il était question d’un jeune lionceau qui devait apprendre à devenir adulte suite à la mort de son père. Plus de quarante ans plus tard, Disney sortait sur les écrans le Roi Lion, officieusement inspiré de l’oeuvre du mangaka japonais. Plagiat ou hommage ? Roger Allers avait le mérite de s’être approprié le sujet pour le faire sien. Le résultat est des meilleurs films jamais réalisés par Disney, et l’un des doublages français les plus cultes.
L’appropriation pour sublimer un sujet, ce n’est pas vraiment le fort de Jon Favreau.
Nous sommes désormais en 2019 et une nouvelle version du Roi Lion arrive sur les écrans. Contrairement au Livre de la Jungle ou au récent Aladdin, ce nouveau film n’est pas une “adaptation live” mais bel et bien un film d’animation au rendu photoréaliste. Pour le monter, Favreau a bénéficié de technologies de pointe, créant un studio virtuel où les cadreurs pouvaient se déplacer dans le décor numérique à l’aide de casques VR. On est dans un univers proche des tournages en performance capture à la Tintin où le réalisateur peut voir en direct le rendu de sa prise et adapter ses cadres à loisir. Un bac à sable formidable qui démultiplie les possibilités. Partant de là, Jon Favreau décide de faire … un remake (presque) plan par plan.
On a bien du mal à comprendre ce choix. Le Roi Lion 2019 est un copié-collé à l’identique de la version de 1994, avec les mêmes cadres, le même ordre des séquences et les mêmes dialogues. Même s’il est insignifiant, l’Aladdin de Guy Ritchie tentait au moins de faire les choses un peu différemment. Ici, sont ajoutés quelques courtes séquences autour de Nala qui part chercher de l’aide et finit par trouver Simba, et une chanson en voix off sur une séquence qui n’en avait pas besoin. Quelques idées supplémentaires viennent surexpliquer une histoire inutilement. Le reste est à l’identique et jamais le réalisateur ne cherche à sublimer la mise en scène originale. Il avait pourtant tant à faire en terme de mouvements de caméra. On se prend notamment à rêver d’une ouverture vertigineuse en plan séquence… en vain.
En choisissant de ne pas utiliser la performance capture, mais uniquement le travail des animateurs et et des doubleurs, Jon Favreau cherche le réalisme. Et on ne va pas se mentir : le rendu est sublime. Les décors sont criants de vérité et les animaux plus vivants les uns que les autres. Si Jungle Book pêchait justement par son aspect visuel, le Roi Lion est impressionnant. On a très souvent l’impression d’assister à un film live ou à un documentaire animalier.
Mais c’est aussi le problème majeur du film : en cherchant ce réalisme, Jon Favreau déshumanise ses personnages. Il les vide de leurs émotions, livrant des animaux sans aucune âme. Or, c’est bien l’âme qui faisait le charme du film de Roger Allers. Le Roi Lion original doit son succès à ses personnages, à leurs réactions, à leurs mimiques humaines. Dès la séquence d’ouverture et son Cycle de la Vie, on ne voit plus des animaux mais des personnages anthropomorphiques qui se rapprochent de nous. Ici, il n’y a rien de tout ça. On ne voit aucune mimique, aucun regard appuyé, aucun sourire. Et on ne ressent, forcément, rien. Les animaux bougent comme dans un documentaire animalier si ce n’est qu’ils parlent, et encore discrètement, puisque le choix est fait de minimiser le mouvement des lèvres, voir d’élargir les cadres. La déshumanisation est d’ailleurs totale puisque Rafiki perd son bâton (et Timon ne danse pas déguisé) et se déplace comme le ferait un vrai babouin, allant jusqu’à ne pas se mettre sur deux pattes pour soulever le lionceau dans l’introduction.
C’est d’autant plus ridicule que cette quête du naturalisme ne peut pas fonctionner en reprenant à l’identique le long métrage de 94. Mais Favreau insiste quand même et conserve notamment le duo comique Timon et Pumba. Dans un univers où les lions sont inexpressifs au possible, on voit donc quand même un phacochère qui pète, un suricate qui fait des blagues et un singe qui dessine sur les arbres. A l’inverse, et parce qu’il est le cul entre deux chaises, Favreau raccourcit une scène très importante entre Rafiki et Simba ainsi que les chansons qui partaient à l’origine dans des délires visuels.
Pour autant, peut-être vous ferez vous emporter par le Roi Lion. Mais ce n’est en rien grâce à au film que vous aurez sous les yeux. C’est bien le souvenir que vous avez du film d’Allers qui remontera à la surface. Pour ma part, je me suis surpris à chantonner, à taper du pied et à faire les dialogues (en français alors que la projection était en VO) dans ma tête. Mais au final, c’est l’envie de revoir l’original qui restait, plutôt que de profiter du spectacle que j’avais sous les yeux, d’autant que certaines répliques cultes manquent cruellement à l’appel.
Citons quand même le très beau boulot coté musique. Les nouveaux arrangements sont formidables et le nouveau titre d’Elton John fonctionne parfaitement en générique de fin. De même, le casting vocal est de belle tenue. Si Beyoncé et Donald Glover ne sont pas oufs (mais peu importe, leur rôle étant limité), Chiwetel Ejiofor est très bon en Scar tout comme John Oliver en Zazou. Citons aussi Billy Eichner mais surtout Seth Rogen en Pumba. Le comédien vole la vedette à tous les autres et semble avoir attendu toute sa carrière pour incarner le phacochère.
Si Le Roi Lion version 2019 est une prouesse technologique certaine, c’est aussi la preuve qu’il est temps que Disney arrête de vouloir faire des remakes de tout. Le film de Jon Favreau n’arrive jamais à la cheville de l’original, un comble pour un long métrage copié collé de celui de 1994. Après Aladdin, le studio confirme que ses films d’animation sont au sommet et quel que soit le réalisateur ou la technologie utilisée ces nouvelles versions ne parviennent jamais à faire mieux. Le Roi Lion version Roger Allers est disponible en blu-ray à 9 euros et en 4K à une vingtaine d’euros, soit le prix d’un ticket ou deux de cinéma. Vous savez donc ce qui vous reste à faire.
Rafiki disait dans une scène, coupée de la nouvelle version, que “le passé, on peut soit le fuir soit tout en apprendre”. Il semble que chez Disney on n’apprenne rien de ses personnages.