La force du destin

Les premières minutes de ce film sont insupportables : caméra portée chaotique causant de nauséeuses sensations, prise de son réalisée au fond d'une cave noyée sous les eaux, mise au point aléatoire, cadrage augmentant l'inconfort visuel, à tel point que tu te dis "non mais c'est quoi cette bouse shootée à la va-vite par un amateur ? y'en a marre, je balance ça à la corbeille".

Et puis cette première scène te choppe à la gorge lorsque son dénouement te fait comprendre la raison d'être de sa forme si désagréable; puis il y a la seconde scène en lien avec cette remarquable intro, traitée d'une manière en tout point différente. Dans ces deux scènes, le cadrage, les mouvements de caméra et le son font corps avec "ce qui est raconté" et là tu sais que t'es devant un putRain de film remarquablement travaillé sur le plan stylistique et que t'as affaire à un Réalisateur sachant parfaitement ce qu'il fait, où et comment il t'embarque.

Tu comprends qu'il te fout volontairement la gerbe pour accentuer la force narrative de la scène d'intro, et tu admires la mise en image et son de la seconde scène, là encore la forme épousant à merveille le propos.

Du coup, tu t'engouffres dans une histoire dont l'âpreté n'a d'égale que sa beauté; car il ne s'agit pas d'un énième film sur le "Milieu Corse", mais d'un trip ancré dans le réel de l'univers d'hommes et de femmes confrontés aux conséquences de leur mode de vie; mais on a pas affaire à des "caïds" tel que le stéréotype nous le donne à concevoir; Ce film nous parle, avec une profonde sensibilité, d'un père et sa fille et de leur clan : toutes et tous profondément humains, fragiles et courageux; des êtres ne se "couchant" pas devant l'adversité, faisant face à un enchaînement inexorable d'évènements funestes; mais fuir n'est pas une option.

Ce petit bijou cinématographique est remarquablement exempt de préjugés, jugement de valeurs ou glorifications ou pire encore, d'idéologie sous-jacente.

Aucune fioritures, pas plus d'artifices spectaculaires venant soulager un tant soit peu le spectateur de la pression s'accentuant de minute en minute; tic, tac, tic, tac. On s'identifie à ces protagonistes vivants en marge de la "loi", tant le parti-pris formel du film est quasiment "documentaire sans voix off", rendant une saisissante sensation d'authenticité.

Pas de coup de théâtre ou autre rebondissements non plus : on est pas là pour s'amuser, la trame narrative est aussi maîtrisée qu'impitoyable, no rest for the viewer !

Ce film est tout, sauf un divertissement. C'est 1h30 d'émotions, d'humanité et de grand cinoche.

Ne loupez pas ça :-)