On peut affirmer que Shinobu Hashimoto est un des noms les plus importants du cinéma japonais de la seconde moitié du XXème siècle. En effet, c’est à lui que l’on doit les scénarios de Rashomon, des 7 Samouraïs, du Château de l’araignée ou de Dodes’kaden, (entre autres films) de Kurosawa ; de Harakiri et Rébellion, de Kobayashi ; de Nuages d’été, de Naruse, et de bien d’autres œuvres encore. S’il a signé quelques uns des sommets du chanbara (films de sabre mettant en scène bien souvent des rônins, samouraïs sans maître errant dans le Japon féodal), il a aussi été écrit des scénarios qui remettaient violemment en cause le mythe des samouraïs et de leur code d’honneur, le bushido.
C’est dans cette catégorie qu’il faut classer Le Sabre du mal, réalisé en 1965 par Kihachi Okamoto. Le cinéaste nous plonge dans un monde de violence à la limite du fantastique, à la rencontre d’un samouraï fou et sanguinaire (à moins qu’il ne soit hanté par son sabre). Il crée ainsi une œuvre qui marque le spectateur par son rejet des règles classiques du genre.
Le film débute au printemps 1860. Une jeune femme, Omatsu, se rend à Edo (la future Tokyo) avec son grand-père. Arrivés en haut du Col du Grand Bouddha, ils croisent un ronin (un samouraï sans maître) qui, sans prévenir, tue le grand-père d’un violent coup de sabre. Le ronin, Ryunosuke, fils indigne d’un vieil homme mourant, a été chassé par son maître.
Le lendemain, il va combattre un homme, Bunnojo, lors d’un tournoi votif. Tout le monde veut le convaincre de laisser Bunnojo gagner le combat afin que celui-ci ne perde pas la face. Au lieu de cela, Ryunosuke viole la femme de son adversaire et tue celui-ci.


Le film est avant tout centré sur le personnage de Ryunosuke. Le Sabre du Mal décrit un ronin violent, froid et inhumain. Jamais Ryunosuke ne montre de sentiment. L’acteur Tatsuya Nakadaï donne à son personnage un aspect fou et insensible. Son regard est impressionnant. Le réalisateur fait beaucoup de gros plans sur le visage de Ryunosuke, insistant sur son regard fou lors des combats, comme s’il était hors de lui, ou sur son visage méprisant lorsqu’il est avec Hama, la veuve de Bunnojo. Ces gros plans contribuent à l’ambiance sombre et hallucinée du film.
Pourquoi Ryunosuke agit-il ainsi ? Le film ne le dit pas exactement. La folie peut être une explication, mais le scénario ne rejette pas une explication surnaturelle :
« Il est possédé par le sabre du mal et il ne contrôle plus ses actes »
Ryunosuke serait donc un personnage hanté, une sorte de démon armé semant la mort et le malheur autour de lui. Toutes les personnes qui le côtoient en reviennent plus malheureuses. La réalisation donne un aspect surnaturel au film : Ryunosuke apparaît n’importe où sans prévenir, il semble immortel (voir la conclusion monstrueuse du film, à titre d’exemple), il est souvent plongé dans l’ombre, avec un visage que l’on ne peut voir. Tout cela culmine dans un final dantesque, où Ryunosuke apparaît plus que jamais comme un démon impossible à tuer.


Le film insiste sur la violence du personnage. Le réalisateur fait de nombreux plans sur des mains ou des bras coupés, sur des corps blessés ou morts. Le montage est brutal. La musique est quasiment absente, ce qui renforce l’aspect glauque du film ; et lorsque la musique intervient, elle est forte et malsaine.
Toute cette violence montre à la fois la folie du personnage et la destruction du code d’honneur des samouraïs.
En effet, si le personnage apparaît comme un fou (ou un démon) isolé, c’est l’ensemble du code des samouraïs (le bushido) qui est ravagé. Les samouraïs apparaissent comme des mercenaires sans merci, des tueurs prêts à se vendre pour un rien. Le monde des samouraïs est ravagé par un individualisme forcené. Les ronins déshonorent leur famille et ils rejettent le shogunat qu’ils sont censés protéger. Le cinéaste nous propose une plongée dans un monde sombre de violences et d’immoralité.


Le rythme du film est lent mais le scénario donne au film l’aspect d’une tragédie. Ainsi, le final réunit à nouveau Ryunosuke et la jeune Omatsu. Elle-même est l’image de la pureté bafouée, de l’innocence salie : la jeune femme vive et joyeuse de la scène d’ouverture est devenue une apprentie prostituée. Premkière victime de Ryunosuke dans le film, elle est celle qui va entraîner sa chute.
Ryunosuke devient alors un personnage tragique shakespearien harcelé par sa conscience, représentée par l’ombre du grand-père (comme Richard III est visité par les fantômes de ses innombrables victimes).


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le 20 déc. 2021

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