Le Sabre du mal par Zogarok
Film de samouraïs sorti en 1966, c'est le plus célèbre de Kihachi Okamoto, dont l'oeuvre fut prolifique et appréciée dans les années 1960 avant que sa carrière ne devienne plus laconique et anonyme. La vedette est Tatsuya Nakadai, l'acteur le plus emblématique du cinéma d'arts martiaux de l'époque (avec Toshirō Mifune), une des vedettes d'Akira Kurosawa notamment. Dans Dai-bosatsu tôge, il incarne un méchant total, réprouvant quasiment toute émotion, d'un rationalisme sans failles dopé par son absence de vanité.
Caustique sans le faire exprès, ce personnage personnifie le cynisme profond (et sans rage) du film. C'est un rōnin (samouraï sans maître) délaissant volontairement les codes traditionnels à l'heure de la faillite de sa 'caste' objective (le film se déroule en 1860). Sa situation aux portes du nihilisme assumé place Le Sabre du Mal à distance de ses camarades de l'époque, plus proche de l'attitude de films bis, insolents et violents comme Lady Snowblood que d’œuvres au moralisme glacé comme Rashomon ou Hara-kiri. Le Sabre du Mal est loin de ne valoir que comme défilé d'exploits hauts-en-couleur, fonction qu'il porte haut en passant : c'est le chaînon manquant entre Orson Welles et Sergio Leone.
Un divertissement total, un peu théâtral, beaucoup fétichiste. Nakadai/Ryunosuke apparaît comme un véritable démon humain, il est d'ailleurs à peine mortel malgré la mobilisation contre lui. Le spectacle est somptueux, la mise en scène à un rare degré de puissance tranquille et souveraine. Au fil de ses représentations crues sur la condition humaine se dresse aussi un point de vue sur le couple : celui formé par Ryunosuke et Ohama est d'un pathétique et d'une brutalité à rendre Qui a peur de Virginia Wolf tout gentil et désuet comme un petit drame de mœurs à apprécier en famille.
Le combat dantesque (malgré quelques incongruités typiques de l'époque dans les façons de mourir) du dernier temps est brutalement interrompu au point de générer une des fins les plus anormales jamais recensées. Le Sabre du Mal aurait du ouvrir une trilogie mais le projet a été abandonné, empêchant vraisemblablement Omamoto de s'inscrire parmi les cinéastes japonais les plus impressionnants de son époque et d'être lui aussi abondamment cité par les cinéphiles. Il a en tout cas fourni l'un des plus beaux films de samouraïs.
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