Le Rōnin au masque hypnotique
Seul, il marche, son imperméable et son doulos courbé sur son crâne transperce la nuit, il se dirige inexorablement vers sa proie, rien ne pourra se mettre en travers de son chemin, sa mission accomplie, il disparaît aussi vite qu’il était venu.
Dans un monde profondément morne et austère, les teintes jaune pâle le jour, bleu feutré la nuit, dépeigne un univers monochromatique où pas la moindre émotion ne transparaît. Rancœur et morosité sont maîtres mots ici bas. Jef est un tueur à gages qui excelle dans son art. Loup solitaire sans réelle relation, il n’appartient pas à cet univers, il est ailleurs, en marge. L’agitation de Paris détonne avec le néant cet homme. Son éternel regard déterminé et impavide ne laisse poindre aucun transport, et c’est bien l’immensité de cette solitude qui ne m’a pas laissé indifférent. Bien qu’à priori le personnage ne permette aucune empathie, j’ai été touché de voir cet être paraissant si sûr de lui, semblé si perdu. Toujours accompagné tantôt d’un air de saxophone affligé, d’un orgue électrique égrainant quelques notes accablées, ou encore des notes du piano retentissant dans l’atmosphère grisaillée de la ville de Paris. La musique la plus douloureuse restera certainement celle des piaillements de l’oiseau cloîtré dans sa geôle.
SPOIL
Un jour, la routine de Jef se brise. Arrêté comme suspect suite à un meurtre, il est relâché grâce un parfait alibi méticuleusement préparé. Mais ce ne sera pas si simple, et le prédateur finira par devenir à son tour le gibier de tous. Traqué à la fois par un policier ayant juste pour désir une vengeance après sa rage de n’avoir pu prouver que Jef était coupable, et également par ses commanditaires désireux d’empêcher le tueur de parler, il devra survivre, aidé seulement d’une acolyte, mais surtout de son intelligence et sa grande perspicacité. Au terme de scènes de tension magistrales et retournements de situation, le parcours du jeune homme au regard d’acier s’achèvera en apothéose dans un ultime sarcasme à ses adversaires. Son seppuku se fera indirectement que ses opposants lui feront le plaisir d’accomplir dans sa fascination pour la pianiste.
Dans ces lieux où rien ni personne ne serait digne d’éveiller note compassion, paradoxalement il est le seul homme attendrissant…
FIN DU SPOIL
Des dialogues réduits au minimum mais avec une réplique cinglante à chaque phrase, des visages marqués par ce monde impitoyable, chaque personnage est très bien pensé et le scénario se déroule lentement mais sûrement même si finalement il ne sert que de fond pour moi. Assorti d’une mise en scène formidable et millimétrée, d’une sobriété géniale des plans et décors très bien dosée, et d’une palette d’acteurs splendides avec en tête l’interprétation tout simplement parfaite de Delon. Certains diront que son rôle n’est pas des plus difficiles, mais pour ma part, il dégage à la fois une telle puissance et telle assurance avec son regard perçant tout en étant lunaire… Magistral, grandiose, formidablement charismatique, il me faudrait 1000 adjectifs pour décrire la beauté de sa prestation.
En fin de compte, ce film se révèle un des plus fabuleux moments de cinéma de toute ma vie. Un policier qui n’a absolument rien à envier aux plus grands films noir hollywoodiens. Une autre preuve que le cinéma français est grand, très grand.
Un bouvreuil qui pépie dans sa cage sa claustration.
Un homme dans la nuit, plus seul que le tigre dans la jungle.
Il est le Samouraï… Plus que ça encore, le Rōnin.