Premier plan : le formalisme de Melville séduit aussitôt. Le cadrage saisit un appartement austère, spartiate. Des nuances grises se détache le complet anthracite d'Alain Delon. Le samouraï vit dans l'ascétisme et la solitude, tel que le rappelle le Bushido :

"Il n'est pas de plus profonde solitude que celle du Samouraï...

Si ce n'est celle du tigre dans la jungle... peut-être..."

Cette scène exhale le génie de Melville : dessiner une esquisse pure et artificielle, former une beauté géométrique et mortifère. Cette vision jaillit clairement à deux autres reprises. Le commissariat de police prend la forme d'un dédale sombre et ordonné de portes tandis que la boîte de jazz délaisse le caractère festif et enfumé et impose un cadre sévère et inhumain.

A l'image du canevas, le personnage central semble être une esquisse purgée à l'extrême du loup solitaire. Un idéal Delon incarne cet être mû par une froide logique. Son charisme métallique et son astuce criminelle ne suffiront pas à Jef Costello, homme piégé, pour s'en sortir. Fidèle au Bushido, ce dernier choisira sa sortie.

Derrière l'élégance absolue de la mise en scène, le reste souffre des coupes et tailles radicales nécessaires à l'esthétique melvinienne. Gouffre premier : les dialogues subissent un déphasage double. D'abord dans le temps : les pauvres endurent une post-synchronisation fidèle aux grandes heures de la conquête spatiale. Ensuite dans le ton : le formalisme imposé ne réussit pas au texte dans le Samouraï. Avantageusement minimale, la parole est creuse, souvent artificielle. Tous tiennent une posture théâtrale et inconfortable. La vision de Melville permet à l'image d'atteindre l'harmonie parfaite, mais plonge les autres éléments dans la dissonance..

L'absence recherchée de réalisme dégrade la contenance du Samouraï. Pardonner à l'exubérant 007 le ridicule patiné de ses improbables gadgets est aisé. Dans l'ambiance grave et feutrée de Melville, le grotesque technologique est insurmontable. La pose du micro est une apothéose bouffonne où le film se donne Hara-Kiri. Une cache triviale choisie, le vénérable policier hésite longuement entre un colossal mouchard et la version dite "miniature", imposante. Crédibilité en chute libre.

Idem, la police lance une véritable armée aux trousses d'Alain Delon. L'absence d'éléments d'information sur la qualité de la victime du Samouraï laisse dubitatif face à cette débauche policière. Celle-ci gagne l'adjectif ridicule lors de la filature géante dans le métropolitain. Équipée d'improbables détecteurs au Gallium, une cohorte d'agents en civil s'épuise à poursuivre un homme blessé.

Pour condenser en une phrase ce Samouraï, il s'avère difficile de savourer pleinement le style pur de Melville tant les éléments grinçants viennent perturber le fil harmonieux de la caméra.

Raf
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le 17 mai 2011

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