Avec Le sang d'un poète, Cocteau fait ses débuts au cinéma. À sa présentation en 1932, la critique fut sévère mais à mes yeux, le moyen-métrage est un chef d'oeuvre d'esthétisme. Cette curiosité cinématographique, ce film poème est aussi inclassable qu'onirique. Comme dans un rêve, on se laisse porter par des images si belles qu'on voudrait les retenir, les scènes se succèdent sans logique apparente, on ne comprend pas tout mais on interprète.
Dès le propos introductif, Cocteau nous prévient. Il s'agit "d'un documentaire réaliste de faits irréels" et d'un "blason à déchiffrer". À travers une série de tableaux vivants, le film retrace l'épopée d'un artiste (Enrique Riveros)
jusqu'à son suicide sous les applaudissements de la bourgeoisie.
On peut y voir une réflexion sur les affres de la création artistique mais le film évoque bien d'autres thèmes chers à l'auteur, comme le passage de l'autre côté du miroir et la mort.
Sorti il y a presque 90 ans, le film reste d'une troublante modernité. Bien sûr, les voix nasillardes et la musique de Georges Auric trahissent leur époque. Mais l'esthétisme de Cocteau, raffiné jusqu'à l'épure, n'a pas pris une ride. Les effets spéciaux, pourtant rudimentaires, ont bien surmonté l'épreuve du temps. Et que dire du masque qui tourne sur lui-même, sinon qu'il vaut toutes les images 3D actuelles ?
Intemporel et déconcertant, Le sang d'un poète est aussi annonciateur des futures réalisations de Cocteau. Une oeuvre indispensable.