Suite à ses premiers pas, aujourd'hui considérés comme perdus, dans l'univers cinématographique avec Jean Cocteau Fait Du Cinéma, le célèbre poète se voit mécéné par le Vicomte Charles de Noailles et sa richissime épouse pour un film d'animation qui se métamorphosa, face aux contraintes techniques, en un moyen-métrage expérimental tourné en prises de vue réelles.
Divisé en quatre parties bien distinctes, Le Sang D'un Poète est certainement le film le plus personnel de Cocteau. Les affres de la création, ses souvenirs d'enfance, son addiction à l'opium, ses penchants suicidaires et son attirance sexuelle pour les beaux jeunes hommes sont des thèmes qu'il aborde ici frontalement dans un enchaînement d'images et de propos sans autre lien que celui de l'imagination onirique liée aux angoisses de l'artiste. Visuellement influencé par les univers de Georges Méliès et de Gustave Doré, l'apprenti-cinéaste inaugure ses effets les plus célèbres qui jalonneront la suite de sa carrière cinématographique : la traversée du miroir, la statue qui s'anime, la rose effeuillée qui se reconstitue, les yeux peints sur des paupières closes... L'univers fantastique et fantasmagorique du poète font ainsi leurs premiers pas sous l'égide d'une sincère implication aussi mentale que physique.
De ce fait, le non-temps du rêve s'incarne parfaitement aux 49 minutes du métrage qui se voient encadrées par l'écroulement d'une cheminée d'usine. Effets dus aux puissants narcotiques absorbés ou simple perspective artistique et temporelle, Le Sang D'un Poète affiche non seulement les tourments de Cocteau, mais également sa paradoxale aversion envers une bourgeoisie exaltée face à l'agonie d'un enfant mortellement harcelé ou le suicide d'un jeune homme malchanceux au jeu. La drogue, la souffrance et la mort s'enchevêtrent ainsi tout au long d'un poème cinématographique lourd de sens, à mille lieues de l'emphase narcissique qu'on lui a injustement collé, en terme de réputation, durant de longues années.
Personnage ambigu, contradictoire et lunaire, Cocteau est néanmoins resté intègre tout au long de sa carrière en ne s'enfermant jamais dans une forme de paraître intellectuel le poussant à l'inauthenticité dont se parent de très nombreux pseudo-créateurs dans le milieu de l'Art contemporain et/ou expérimental. À l'instar de Dalí ou encore de Buñuel (également mécénés par le couple de Noailles), Cocteau surnatularisait ses moindres émotions au sein d'incontestables chefs-d’œuvre lyriques qui ont indéniablement transcendé l'Histoire de l'Art, le cinquième comme le septième.