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Au-delà de ça, Rue Barbare reste une proposition rarissime au sein du cinéma français. Un film coup de poing comme il en existe peu et qui préfigurera toute une série de polars made in France hyperviolents durant la décennie des années 1980. Pourtant, Rue Barbare n'est en rien un polar, ni un film social. C'est un trip unique dans un univers totalement stylisé qui n'a pas grand-chose à voir avec la réalité, bien que Gilles Béhat se soit inspiré de sa propre enfance et adolescence passées dans une cité où sévissait quotidiennement une telle violence (celle que démontrera également Jean-Claude Brisseau quelques années plus tard dans son poignant et virulent De Bruit Et De Fureur). Cet environnement dans lequel il a grandi, Béhat le retrouve dans Street of the Lost, roman de David Goodis publié en 1952 qu'il adapte ici. Et si le film suit à la lettre la trame du roman, Béhat s'accapare néanmoins du sujet pour en faire un film très personnel.

Daniel Chetman dit "Chet" a jadis fait partie de de la bande des Barbares, un groupe de voyous post-punks, terrifiants et hystériques qui terrorise tout un quartier en imposant ses lois. Surtout celle du plus fort. Mais aujourd'hui, pour pouvoir travailler, nourrir sa famille et ses rêves d'ailleurs, Chet refuse la violence et s'oblige à être lâche. Jusqu'au soir où il croise une fillette dans un piteux état qui vient d'être violée par Mathias Hagen dit "Matt", le caïd du quartier. Pour avoir tendu la main à cette petite fille désespérée, Chet remet le pied dans l'engrenage et l'affrontement entre son ancien complice et lui-même sera terrible…

Chet, c'est Bernard Giraudeau, enfin employé à contre-emploi, soigneusement préparé pour le rôle et beau comme un dieu. Matt, c'est Bernard-Pierre Donnadieu, littéralement possédé par son personnage et extraordinairement inquiétant. Autour de ces deux-là, un cast 5 étoiles dans la peau de dégénérés pathétiques, agressifs, misérables… femmes incluses. Dans un second-rôle particulièrement émouvant, Jean-Pierre Kalfon est sensationnel en incarnant un minable chanteur de rock ayant totalement raté sa carrière. Carrière à laquelle il croit encore tout en s'enfonçant toujours plus dans la came. Le looser magnifique, dans toute sa calamiteuse splendeur.

Dans ce quartier livré à lui-même, la plupart des femmes se prostituent, les enfants s'entretuent, les hommes concrétisent leurs pulsions sexuelles autant immorales (la scène où Donnadieu exprime verbalement ses tendances pédophiles fait froid dans le dos) que meurtrière (autre scène où Jean-Pierre Sentier, lui aussi excellent, démontre de par son attitude que ses armes lui procurent des orgasmes). Un univers unique qui pourrait être l'enfant illégitime de Mad Max et New York 1997 et qui ne ressemble pourtant ni à l'un ni à l'autre.

Car Rue Barbare n'est pas qu'un film de genre. Loin de là. C'est également un grand film romantique et sauvage, à l'image des meilleurs westerns américains des années 1950. Une fable réellement captivante et secouante si l'on accepte d'être pris par la main par Béhat pour qu'il nous guide jusqu'aux confins de cet univers où l'on n'aimerait certainement pas vivre. Parce que Rue Barbare est également une bien belle histoire d'amour entre une jeune femme traumatisée (sublime Corinne Dacla, aussi parfaite ici que dans sa bouleversante scène dans Diabolo Menthe -l'un des sommets du film de Diane Kurys- où elle raconte la meurtrière manif' de Charonne en février 1962) et un homme qui ravale sa fierté par amour pour elle. Un couple atypique, tendre, fragile, douloureux, emprisonné par son passé et qui rêve d'un ailleurs. Le tout filmé sans esthétisme et sans misérabilisme sous la houlette d'un Béhat impliqué qui nous offre un final d'une violence inouïe, mais néanmoins visuellement supportable grâce à une mise en mouvement des comédiens parfaitement chorégraphiée. Un éprouvant combat de mort, sans pitié et fascinant, (très) rarement vu au sein du cinéma français.

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le 21 sept. 2024

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