Un peu décevant ce Gosha, qui a la différence d'autres de ses grands films comme Le Sabre de la bête, Les Trois Samouraïs hors-la-loi ou encore Goyokin, l'or du shogun, ne prend pas pour cadre le chanbara mais lorgne très clairement et très fortement du côté du film noir, avec des influences américaines notables. J'aimerais bien un jour recenser tous ces films japonais de l'âge très classique (la décennie 1960 grosso modo) qui arborent des attributs hérités de l'autre côté de la production planétaire : comme chez Imamura (en pensant à Cochons et cuirassés), cela passe notamment à travers le recours à une musique jazzy qui sonne presque faux — ou du moins qui détonne dans cet environnement. Presque. C'est drôle de voir les protagonistes évoluer dans des lieux très connus, la salle de boxe, la boîte de strip-tease, l'embarcadère de port, la casse, avec une petite particularité ici tout de même : une centrale électrique et une station d'épuration, la touche bonus en matière de monde en perdition que doit traverser un homme à sa sortie de prison chargé de tuer trois personnes pour de l'argent.


Et ce pauvre damné, qui traîne son sort comme un boulet (il a tué par accident un homme et sa fille, laissant une veuve), c'est Tatsuya Nakadai : autant dire qu'il aide beaucoup le film et fait office de contrepoids à un scénario parfois vraiment très lourd. Autant on peut apprécier la diversité des lieux quand bien même ce serait des passages obligés du genre, autant on peut regretter plusieurs aspects de cette histoire. Il y a un côté répétitif dans l'exécution de la basse besogne, avec à chaque fois le héros qui arrive trop tard et récupère une victime (celle qu'il devait tuer, précisément) dans ses derniers instants de vie lui indiquant la marche à suivre pour son enquête. Ça en devient vraiment mécanique et très peu immersif, alors que l'autre piste, celle des deux malfrats hongkongais qui semblent animés par un intérêt voisin, est pleine de promesses. Le fait qu'ils fassent le sale boulot à sa place est une disposition qui aurait pu être bien plus fertile il me semble.


Au final, Nakadai est pris dans un engrenage qui lui fait perdre la foi pour ce sale boulot et lui donne envie de comprendre la mécanique à l'œuvre et les intérêts partisans derrière tout ce bazar sanglant. Une imagerie du gangster japonais bien loin des codes nationaux de l'époque comme chez Fukasaku ou Suzuki par exemple, travaillant une fibre esthétique très classieuse et arborant une sorte de quête rédemptrice au milieu d'un univers vérolé par l'avidité. Au terme du voyage particulièrement tragique, il aura en un sens regagné sa dignité, même si la mélancolie n'atteint pas les sommets escomptés. La figure de la gamine devenue orpheline, aussi, est un supplément « mignon gratuit » qui est un peu trop indigeste, un supplément de sentimentalisme dont on se serait en tout état de cause bien passé.


http://www.je-mattarde.com/index.php?post/Le-Sang-du-damne-de-Hideo-Gosha-1966

Créée

le 20 déc. 2022

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Morrinson

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