Hacienda luxueuse, mezcal bien frappé, douceur du climat mexicain, chant d'oiseaux sur fond d'écoulement d'eau, les tout jeunes mariés Lamphere vivent une véritable idylle dans leur petit bout de paradis, au coin de la fontaine des amoureux. Malheureusement pour Célia, le conte de fée ne durera qu'un temps et s'estompera sitôt franchie la frontière mexicaine : dans l'antre glaciale des Lamphere de Levender Falls, dans le New Jersey, l'attendent en effet une série de surprises angoissantes qui l’amèneront au plus profond du mal, dans les tréfonds de l'âme humaine de son architecte de mari, dans l'enfer de Levender Falls...

Il y a, c'est vrai, du Barbe bleue dans Secret Beyond the Door, mais un Barbe bleue habité par les préoccupations de Lang alors : la mort, la vengeance et la schizophrénie sont effectivement au cœur de son film. Mark Lamphere est une personnalité qu'on qualifierait aisément de contradictoire. Il aime sa femme, mais veut la tuer, déteste le genre féminin et le pouvoir qu'il exerce sur lui, mais s'en entoure où qu'il y aille, quoiqu'il fasse... Zola y verrait sans aucun doute son Jacques Lantier de sa Bête Humaine, sa Lison étant ici remplacée par septs chambres ardentes. C'est que l'homme en question, en bon architecte qu'il est, sait parfaitement cloisonner l'espace, qu'il soit d'air ou de souvenirs, et séparer les différentes facettes de sa personnalité. Il sait également se prémunir des irruptions étrangères. Mais ses portes ont des serrures que la simple vision ou la simple odeur du lilas suffit à déclencher. Pour le meilleur et pour le pire avait dit le prêtre... Ah la belle formule! Les voies du Seigneur sont impénétrables... et leur horizon bouché ; le Père n'avait pas vu les six chambres que Mark gardait jalousement dans son manoir et qui reproduisaient à l'identique autant de véritables scènes de crimes. Il n'avait pas vu non plus la septième en cours de construction. La dernière tête de la Bête.

Ce huis clos dans les travers du manoir Lamphere et de l'esprit de l'homme qui les arpentent est l'occasion pour Lang de décliner une énième fois les thèmes qui lui sont chers : on retrouve ainsi les vengeances gynécide de Mark, parricide de son fils David, et incendiaire de sa secrétaire dévouée Miss Robey, la mort de la précédente épouse de Mark (morte de n'avoir pas été aimé en retour) et du frère de Célia, et surtout la schizophrénie des personnages et des lieux. Chaque personnage et chaque pièce du manoir se répondent : la chambre reproduite à l'identique jusqu'à la taille des bougies, le double des clefs, la lutte du père et du fils contre les mêmes maux, le dédale lugubre et sous-terrain du manoir et la terrasse ensoleillée de l'hacienda... Tout n'est que le reflet déformant de soi-même. D'où la sensation malsaine de malaise et de claustrophobie du film...

La réussite du film tient essentiellement au talent de son metteur en scène qui, à l'aune du classicisme hollywoodien des années 40, aimait encore à rappeler ses origines allemandes et prouver à qui en douter encore que l'expressionnisme radical coulait dans les veines rhénaniennes. La scène du procès toute entière fantasmée par Mark, dans laquelle Redgrave incarne l'accusé et l'avocat de la défense devant un parterre de silhouette sans visage, est sans nul doute un sommet du genre. Tout comme les plans larges dans les brumes sylvestres ou au contraire les plans serrés suffoquant dans l'incendie criminel qui dévore le manoir avec des contours humains qui s'y dessinent. Le fantasmagorique côtoie le réel. Le générique du début annonce d'ailleurs clairement les choses : la porte sinueuse flanquée du chiffre 7 donnera autant accès à la chambre qu'elle renferme qu'au démon de Mark.

L'autre réussite du film est à mettre au crédit du casting. Le choix du fantastique Michael Redgrave pour incarner l'architecte maniaque tient du génie. Il lui apporte tout son flegme, sa nonchalance et son comportement lunaire et en fait un personnage d'une fragilité effrayante. On ne sait s'il va s'esquiver lâchement une nouvelle fois ou bien étrangler sa femme avec son foulard. Cette dernière c'est la jolie Joan Bennett qui lui donne ses traits ravissants. Elle avait une beauté qui pouvait rappeler celle de Bergman (d'ailleurs le reste du casting féminin a aussi ce vague air de ressemblance, je ne m'en plaindrais pas). Finalement, sans être son meilleur film, Secret Beyond the Door, est une incontestable réussite, une formidable leçon de cinéma de tonton Lang et probablement un de mes films préférés du réalisateur. S'il rappelle fortement le Rebecca de Hitchcock sorti huit auparavant, il annonce également son Psychose (1960) dans sa manière de suggérer l'angoisse et de ménager le suspens, et le Sleuth de Léo Mankiewicz (1972) dans sa manière de faire correspondre les méandres architecturaux du manoir avec ceux de l'esprit du propriétaire et d'y emmurer le spectateur.
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le 22 déc. 2014

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blig

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