On aura rarement mieux fait dans ce genre épique. Le Seigneur des Anneaux de Peter Jackson, c'est une véritable mythologie portée à l'écran.
Tout commence magistralement, par une scène d'introduction aussi puissante que passionnante : une bataille dantesque, des paroles prophétiques, des histoires d'anneaux, un ennemi puissant et terrifiant anéanti en un instant, un roi humain qui le récupère pour finir par le perdre par cupidité.. Le ton est donné, avec une musique de Howard Shore excellente déjà, notamment en introduisant le sublime thème de l'Anneau, triste et lancinant qui hantera toute la trilogie. Tout est limpide et c'est la grande force du film : introduire un univers étranger et étrange en quelques images marquantes. En une poignée de minutes, on a compris l'enjeu, le contexte politique et historique de la Terre du Milieu, le film peut commencer sous les meilleurs auspices.
On se réveille dans la Comté, ce charmant pays de la terre du milieu où les Hobbits vivent une existence paisible ; on croirait ces anglais en villégiature, qui profitent des bienfaits d'une terre généreuse : on mange, on rit, on fait la fête, on cultive son jardin. On sait que la menace grandit et que cela ne durera pas. On introduit des personnages mémorables : Bilbon, Pipin et Merry, Frodon, Sam et bien sûr Gandalf. Immédiatement charismatiques, parfaitement identifiables par des caractères différents. Il le faudra tout le long de la trilogie car la myriade de personnages auraient vite fait de perdre le spectateur inattentif mais Peter Jackson donne à chaque personnage une existence propre : les Side-kick Pipin et Merry, l'ami fidèle Sam, le sage Gandalf. Il tire des livres de Tolkien cette saveur, qui rend chaque personnage un peu un archétype et ça fonctionne parfaitement. Puis il y l'introduction dans la seconde partie du reste de la communauté de l'anneau, chargé d'emmener le terrible objet du mal, dans les montagnes du Mordor pour le détruire. Chaque race a son guerrier au service de la cause ; c'est simple et efficace. Aragorn, le chevalier sans peur et reproche, Boromir, la bravoure extrême mais le coeur corruptible, Legolas l'elfe agile, Gimli, le nain acariâtre. Les méchants aussi se dévoilent : les Nazguls, sur leurs chevaux, véritables cavaliers de la morts, Gollum, ombre pernicieuse qui poursuit les héros, Saruman, maitre de Gandalf, corrompu par Sauron, le grand méchant de l'histoire, qui hante tout le film, incarné par l'Anneau unique, maléfique et qui rend fous les hommes qui le touchent.
Le film multiplie les incursions dans des genres différents : tantôt effrayant avec les Nazgul, tantôt course poursuite, des passages humoristiques, des histoires d'amour, de la magie ; le récit est si complet et si dense qu'on pourrait si perdre si Jackson n'avait pas su habillement camper le contexte du film. La scène où les protagonistes se réunissent à Elrond pour former la communauté de l'Anneau permet ainsi de faire le point sur l'aventure en cours et plusieurs fois les séquences d'actions laissent place à des pauses pour approfondir les relations entre personnages et contextualiser davantage. Il présente ainsi le monde des hommes, des nains, des elfes, des orcs et l'on saisit mieux les forces en présence. Celles de la guerre qui viendra dans les deux autres films.
Le moment le plus fort du film est indéniablement l'épisode de la Moria. Tout de cette saga est dit. L'aventure d'abord : l'exploration de la mine, qui se découvre, tantôt magnifique, tantôt terrifiante, la filature de Gollum, cette créature de l'ombre, corrompue par l'anneau qui veut le retrouver, les cadavres de nains massacrés par les gobelins qui jonchent le sol, l'immense cathédrale de Cavenin, le tombeau de Balin, la bataille dantesque avec un troll des cavernes, la course poursuite, l'arrivée du Balrog, son combat avec Gandalf sur le pont de Kazak Dum, la disparition de Gandalf et la fuite de nos héros qui pleurent le mentor perdu dans un moment d'émotion fort. Tout est si intense dans cet instant et tout ceux qui ont joué aux jeux de rôle ou d'exploration, aux livres dont vous êtes le héros, ont revécu mille fois ces scènes ; l'essence même de l'héroic-fantasy y est synthétisée.
Le film s'appuie aussi sur une photographie et des décors fabuleux. Le choix de la Nouvelle-Zélande comme écrin à cette saga est plus que judicieux : landes, forêts, montagnes... ; cet archipel est devenu la Terre du Milieu. Si bien qu'il s'agit aujourd'hui d'un argument touristique majeur pour ses iles du Pacifique. Il peut compter aussi sur des costumes, décors, tout aussi grandioses et identifiables : les villages Hobbits, la Moria, Elrond. C'est un bonheur d'imagination, le tout dans des décors souvent réels. Et les effets spéciaux sont remarquables, même encore aujourd'hui. Les effets sonores, les qualités techniques et de production étaient également des prouesses pour l'époque. Il suffit de regarder les éditions Blu-Ray pour voir qu'on ne se moque pas de nous.
Peter Jackson peut compter aussi sur le plus grand atout du film, la musique. Howard Shore a signé une bande originale absolument grandiose, à base de leitmotivs très caractéristiques. Il faut dire que la saga s'y prête. On est dans une oeuvre proche de l'Anneau de Nibelung de Wagner. On pouvait donc reprendre les grands principes musicaux du compositeur allemand pour produire une odyssée musicale démentielle. L'usage des cuivres, des chants martiaux, les rythmes halletants, et parfois les pauses émotionnelles font mouche. En plus Shore campe des ambiances selon les peuples (choeurs et instruments orientaux pour les elfes, sonorités métalliques pour les orcs) et les contrées traversées, permettant l'identification et donnant de la profondeur à l'univers. C'est une oeuvre dans l'oeuvre.
On n'oubliera pas aussi le casting, qui a lancé ou relancé la carrière de bon nombre des protagonistes : l'excellent Viggo Mortensen en tête, Ian McKellen, entré dans la légende avec son rôle de Gandalf et tant d'autres. Chacun aura son heure de gloire dans l'aventure et c'est ce qui en fait une épopée purement homérique. Boromir (Sean Bean, classe comme à son habitude) est l'exemple de cela : le noble chevalier du Gondor qui, attiré par l'Anneau tente de le voler à Frodon. Mais celui-ci s'échappe et déjà, l'homme comprend sa faute. Il se sacrifiera alors pour sauver ses compagnons, regagnant son honneur chevaleresque dans un acte inouïe de bravoure. On pleure Boromir, pourtant personnage secondaire parce que Peter Jackson a pris quand même le temps de lui donner un peu de consistance. Le talent des acteurs fait le reste, sublimé par la musique.
La version longue apporte aussi son lot de détails pour qui est friand de l'univers. Rien n'y est superflu, et c'est du plaisir supplémentaire. L'univers du Seigneur des Anneaux est abouti. Cela se ressent dans l'adaptation. Tolkien a laissé une telle oeuvre, avec une telle cohérence, que le film peut s'appuyer sur des bases très solides pour introduire son univers. Rien n'est laissé au hasard et le grand fan qu'est Peter Jackson a pris du plaisir à tout retranscrire (avec quelques libertés pour rendre le tout plus lisible). Le défi de l'impossible adaptation est parfaitement relevé. A cela enfin s'ajoutent des thématiques universelles : l'amitié, la cupidité, la menace totalitaire, jamais caricaturales car l'univers est cohérent, sans parler du ton du film, résolument sérieux et épique, non sans humour et flegme par instants.
Introduction énorme, la Communauté de l'Anneau expose tous les enjeux et est le chapitre le plus purement aventure de la trilogie là où la suite aura plus de forces dans ses thématiques politiques et guerrières. Ce qui en fait selon moi le meilleur peut-être de la trilogie c'est qu'il est une pure épopée qui réunit tous nos héros autour d'une quête. La communauté de l'Anneau c'est en somme les mousquetaires. Un pour tous, tous pour un. Sauf, que la communauté, à la fin, se dissout, sur les rivages d'un fleuve splendide où trônent les statues immenses des rois de jadis, gardiens d'une gigantesque cascade. Le chemin à parcourir pour nos héros s'annonce encore très long et la guerre gronde, depuis l'Isengard et le Mordor.