Je ne vais pas faire durer le suspens: c'est l'épisode de la trilogie que j'aime le moins. Le seul, en fait, dans lequel je me fais toujours un peu chier. Il avait déjà été une petite déception pour moi lors de sa sortie ciné en 2002, et je n'ai guère changé d'avis à ce sujet. Pourtant, ne déconnons pas, nous avons bien là un bon film épique, du genre qu'on ne voit qu'une fois par décennie au cinéma et une adaptation toujours très méticuleuse de l’œuvre de Tolkien. Je vais donc tenter de soupeser les bons et les mauvais côtés de ces « Deux Tours ».
Déjà, parlons de ces problèmes de rythme et de découpage qui constituent clairement le talon d'Achille de cet opus. Au fond, à part la bataille du gouffre de Helm, il ne s'y passe pas grand chose. Les trois heures du film reposent entièrement sur cet affrontement, diluant artificiellement la narration en une sorte de longue attente désagréable. Du coup, la traversée de Frodon et Sam est momentanément mise entre parenthèse et leurs apparitions occupent à peine un tiers de l'histoire. Il faut dire qu'ils ne progressent pour ainsi dire plus, se contentant de discuter et de se brouiller à cause de Gollum, véritable sujet de névrose pour Sam qui m'apparait bizarrement un poil moins sympathique. Heureusement, la créature de synthèse est la plus grande réussite du film. Un exploit technique qui est également l'aspect scénaristique majeur du milieu de la saga. Gollum est le plus ambivalent et le moins manichéen de tous. Imprévisible, il réunit tous les opposés, à la fois fort et brisé, cruel et en quête d'affection, comique et digne de pitié. Un excellent personnage... pourtant virtuel ! Chef d'oeuvre des effets spéciaux, Gollum mérite amplement sa place quelque part à côté du King Kong de Merian C. Cooper et des dinosaures de Jurassic Park. A chaque fois j'oublie le subterfuge. Gollum est là, pas Andy Serkys en collant couvert de capteurs. L'illusion ne prend pas une ride après 11 ans, c'est stupéfiant ! Rien que pour ça, ça vaut le coup de voir le film...
Le coeur du scénario, c'est toutefois les péripéties d'Aragorn, Gimli et Legolas. Avec eux, le film perd tout son côté « aventures » qui me plaisait tant dans «La communauté de l'Anneau » pour devenir un récit guerrier dans une sorte de Moyen-Age beaucoup plus terre-à-terre. Pourquoi pas, après tout ? De toute façon, cette soudaine perte de fantasy n'est pas du fait des scénaristes mais bel et bien de Tolkien. Déjà dans le roman, j'accrochais moins à cette partie de l'histoire mais l'immersion dans le Rohan, son atmosphère, ses us et coutumes, tout cela me permettait de passer tout de même un très bon moment de lecture. C'est moins vrai pour le film, qui ne parle, en gros, que du conflit à venir:
- La guerre arrive !
- Le conflit est inévitable !
- Saruman a levé une armée !
- Préparons-nous pour la bataille !
- Cette fois, nous sommes en guerre !
Et bla, et bla, et bla... Sauf que la bataille du Gouffre de Helm met dix plombes à arriver. En fait, on ne devrait même pas l'attendre ainsi et juste profiter des interactions entre les personnages et de l'ambiance, mais tout est tellement orienté vers cet obsédant conflit qu'on ne peut que souhaiter y arriver rapidement pour pouvoir passer enfin à autre chose. Surtout que le Rohan est loin d'être une région visuellement époustouflante: une immense plaine jonchée de quelques huttes habitées par des paysans boueux (les figurants ont tous réellement de la crasse en permanence sur le visage...) et, en son centre, une jolie petite Edoras plantée sur un promontoire rocheux. C'est tout. Une fois de plus, c'est Tolkien qui l'a voulu ainsi... sauf pour les figurants crasseux, tout de même.
Lorsque enfin la bataille prophétisée arrive, c'est... c'est... sympathique. Oui, sans plus. C'est bien filmé, assez épique, l'ambiance pluvieuse et nocturne participe à la solennité de l'ensemble... mais on est loin du moment de folie auquel on pouvait s'attendre. Tout est presque trop sage pour une épopée de l'ampleur du Seigneur des Anneaux, surtout que, rappelons-le, on nous casse les burnes avec cette bataille depuis presque le début du film ! Comme si ça ne suffisait pas, ces quelques minutes guerrières sont entrecoupées des passages les plus ennuyeux de toute la saga... je veux parler de l'aventure narcoleptique de Merry et Pippin !
Ne vous méprenez pas: j'aime beaucoup ces hobbits et les Ents et, dans le roman, les paragraphes consacrés à Sylvebarbe sont les plus magiques des « Deux Tours ». Sauf qu'ici, Jackson a presque entièrement loupé le coche: Sylvebarbe en train de marcher avec les Hobbits sur ses épaules, filmé toujours du même angle; Sylvebarbe parlant pendant des heures en entique pour dire bonjour à ses copains Ents... C'est presque insupportable et ça dénote complètement avec ce que sont en train de vivre le Rodeur, l'Elfe et le Nain. Humour de contraste ? Raté... D'ailleurs, sans doute conscient du somnifère qu'il était en train de produire, Jackson ne cesse de faire bailler ou s'endormir tout ce petit monde, espérant sans doute que sa lucidité fera rire le spectateur. Mouais... Heureusement, ces séquences finissent par une très bonne idée: montrer une bataille seulement suggérée dans le livre. On retrouve alors un peu de folie visuelle et les Ents regagnent enfin leur crédibilité.
Si ma note est finalement tout de même de 7, c'est parce que les innombrables louanges que j'avais faites au niveau technique à l'opus précédent sont toujours valables ici. Le souci du détail est toujours là, ainsi que les maquillages splendides, les musiques majestueuses, la photographie, les effets spéciaux... à part les Wargs, l'un des rares échecs visuels à base de bouillie de synthèse assez ridicule. L'histoire d'amour entre Aragorn et Arwen, loin d'être niaise et hors de propos met plutôt en exergue tout ce pour quoi Aragorn se bat inconsciemment tout en y ayant renoncé. Digne des plus beaux lais médiévaux, cette histoire d'amour impossible renforce encore un peu plus l'un des meilleurs personnages de la trilogie tout en offrant des moments de poésie pure qui manquent cruellement dans le reste du film. A ce propos le flash-forward du sort réservé à Arwen est l'un des meilleurs passages de cet opus pour moi: je ne peux m'empêcher de ressentir des frissons à chaque fois que je le regarde tant toute impression de happy-end est fortement réduite par cet élan de mélancolie absolue...
Enfin, je ne peux que vous conseiller fortement la version longue, presque indispensable pour rééquilibrer le métrage et rehausser fortement l'immersion et le plaisir ressenti par une abondance de petits détails qui tendent à se rapprocher du fourmillement du roman. La corde elfique de Sam, les souvenirs de Faramir (Boromiiir !), l'âge d'Aragorn et beaucoup d'autres belles surprises...
Ma petite déception sur les « Deux Tours » ne doit pas vous faire croire que je retourne ma veste en plein milieu de l'aventure: la conclusion à venir est si épique que je réfléchis encore à la manière dont je vais m'y prendre pour rendre compte avec mes misérables mots de l'ébahissement total que je ressens à chaque fois que je me plonge dans « Le Retour du Roi » !
Ma critique de la saga:
"Un Voyage Inattendu": http://www.senscritique.com/film/Le_Hobbit_Un_Voyage_inattendu/critique/10224236
"La Désolation de Smaug": http://www.senscritique.com/film/Le_Hobbit_La_Desolation_de_Smaug/critique/18255259
"La Communauté de l'Anneau": http://www.senscritique.com/film/Le_Seigneur_des_Anneaux_La_Communaute_de_l_anneau/critique/3963024
"Le Retour du Roi": http://www.senscritique.com/film/Le_Seigneur_des_Anneaux_Le_Retour_du_roi/critique/4032392