Le travail du photographe Sebastião Salgado mis en image par Wim Wenders est l'occasion de lier l'art à la dénonciation, à l'instar d'un reporter lambda, mais d'autant plus intéressant que Salgado est libre de ses voyages et de ses travaux, insoumis à une production subjective. Alors rien de bien nouveau ici pour ce qui concerne les maux de notre temps et de notre violence constante à l'égard des autres et de l'environnement.
Mais le cinéaste admiratif de l'artiste, nous brosse le portrait d'un homme qui depuis plus de 50 ans parcourt le globe et vit une relation de couple particulièrement stimulante, décidera de l'accompagner pour parfaire son portrait, opte pour la déclinaison de plusieurs de ses champs d'investigation, nous invite au voyage et nous permet de mieux cerner le personnage.
Dialoguer par l'image et mettre en lumière par la sensibilité de l'auteur des images nécessaires où se dégagent une grande puissance, ramenant l'homme à sa condition bien précaire, Salgado semble mû par un irrépressible besoin de poser l'horreur en la magnifiant. Les photos sont bien souvent morbides, et parlent d'elles-mêmes sur la capacité de l'homme à être l'élément déclencheur d'horreurs répétitives au fil des décennies. Un constat pessimiste évident mais un humanisme à fleur de peau, aussi. Même si cela ne nous permet pas de vérifier des actions humanitaires qu'auraient pu tenter Salgado, c'est peut-être le plus gênant dans le visuel de ces clichés d'actualités. Et c'est bien le rapport au travail de photographe, de reporter qui vient en porte à faux entre la dénonciation et l'inaction qui interroge et procure toujours un certain malaise par l'effet voyeurisme. Pourtant on ne peut que saluer ce regard si percutant.
Le montage alternant entre photos, interview du photographe et déplacements, nous permet de suivre ses réflexions et commentaires. De la famine au Sahel, du Rwanda avec le déplacement des populations, au déni de l'individu, en passant par la catastrophe incendiaire du Koweit, ou encore à la Bosmie, on reste pantois devant la force évocatrice de ses portraits, ses angles de vues et un noir et blanc d'un parfait contraste.
Une dénonciation qui semble pourtant vouée à l'échec constant, tant les drames se répètent. On y trouvera d'ailleurs une métaphore avec une photo particulièrement marquante de chercheurs d'or, dans la mine de Sera Pelada, aujourd'hui fermée, où la masse grouillante, est condamnée tel Sisyphe et son rocher à monter pour redescendre, portant des sacs, cherchant un filon hypothétique, tout autant vouée à l'échec.
La seconde partie change radicalement de point de vue, et opte pour l'optimisme et nous transporte dans le monde magique de ceux qui changent le monde par leur seule volonté. C'est beau. Un retour aux sources dans le Brésil natal, avec auparavant un voyage vers les peuples primitifs, une renaissance obligatoire pour ne pas sombrer, et des photographies plus sereines.
On pense alors à notre biologiste préféré de 90 ans, Akira Miyawaki , adepte de la symbiose, qui a planté des millions d'arbres à travers le monde et créé de nombreuses forêts, lorsque l'épouse de Salgado, face à la dépression de son mari, décide d'un projet colossal. Replanter une forêt dévastée sur 600 hectares. Pari d'ailleurs réussi pour ces arbres qui en 10 ans ont pris une belle ampleur et permis aux animaux sauvages de revenir.
Salgado remis de ses émotions continue la photographie, plus naturaliste et plus enjouée mais toujours aussi belle.
Un bel hommage à cet artiste, à son fils cinéaste pour son père aventurier, et bien sûr, à l'art qu'il soit cinématographique ou photographique.
A voir encore une fois...certainement.