Le Festival de Cannes est une bulle. Pendant dix jours, on ne pense qu’à ça. Entre les films à voir, les articles à écrire, les tweets à tweeter, et les soirées à roser, on est vraiment plongé dans un monde autocentré. Mardi 20 mai, cette bulle a complètement explosé à cause de Messieurs Wim Wenders et Sebastiano Salgado. Récit d’une séance pas comme les autres.

J’étais assez content en m’installant dans mon fauteuil au début de la séance. D’abord parce que voir un documentaire après toutes ces fictions était rafraîchissant. Et puis, l’unique Wim Wenders était là pour présenter le film et c’était impressionnant de voir ce géant du cinéma. Je ne m’attendais pourtant pas à être secoué par ce que j’allais voir.

Le documentaire est donc réalisé par Wim Wenders et le fils de Salgado, Juliano. Il retrace moins la vie du photographe que son œuvre, et suit chronologiquement ses différents travaux (souvent sur plusieurs années). Mes seules expériences avec la photographie sont mes photos de vacances, et elles sont floues. Je ne connais que Depardon et Nadar, et je ne suis jamais allé à une expo photo. Autant dire que je ne savais rien de l’œuvre de Salgado et j’abordais par conséquent le film en néophyte complet. J’ai donc appris que cet artiste était avant tout connu comme un photographe social. Il a ainsi couvert le travail des mineurs en Amérique du Sud, la famine et les guerres éthniques en Afrique et plus généralement les déplacements forcés de population. Autant dire que ces photographies ne sont ni frivoles ni forcément très joyeuses… Maintenant, Salgado se concentre sur la nature et rend un hommage à la nature en photographiant ce qu’elle a de plus beau. Son fils a voulu filmer son père en activité et a demandé par la suite de l’aide à Wim Wenders pour concevoir le film.

Les photographies de Salgado occupent évidemment une place centrale dans le film, elles sont toutes magnifiques. Cet artiste est vraiment exceptionnel et il rend la souffrance des êtres humains de la plus belle des manières. Wim Wenders fait défiler les photos en faisant parler le photographe sur son œuvre et c’est profondément bouleversant. Les passages sur le génocide Rwandais ou la famine dans le Sahel sont insoutenables de cruauté et de douleur. On est loin pourtant des spots UNICEF qui chercheraient à faire culpabiliser le spectateur. Les êtres humains sont photographiés pour eux-même, ils ne servent pas une cause ou un message. L’oeil de Saldago donne une dimension supplémentaire à la réalité en mettant l’homme au cœur du moment capturé. Et là tout à coup, assis confortablement dans notre fauteuil cannois, on oublie totalement les plannings du lendemain, les articles à écrire, les invitations à trouver. On est à nouveau connecté à l’humanité toute entière et ça fait un bien fou. J’ai bien sûr l’impression d’enfoncer des portes ouvertes en écrivant ces lignes. Évidemment que des souffrances affreuses existent partout dans le monde à tout moment et cela ne doit pas, ne peut pas nous empêcher d’avoir des activités futiles. Mais il est quand même bon d’avoir régulièrement des piqûres des rappel sur ce qu’être humain signifie, sur les pires actes de notre espèce pour réussir aussi à entrer en empathie avec les oppressés et sentir au fond de nous ce sentiment d’appartenir à quelque chose aussi laid que beau.

Salgado ne pouvait plus continuer à faire la même chose avec le Rwanda. Il avait atteint le point de non-retour, comme ces artistes rendus muets par la Shoah. Quand on a vu l’horreur pure, l’oeil ne veut plus témoigner. Il s’est alors tourné vers la nature. L’humanité lui a montré son pire visage, il a donc tourné son regard vers ce qu’il y a de plus beau sur Terre pour rendre hommage à l’environnement. Il s’est aussi lancé dans une entreprise de restauration de la forêt pour sauver les terres malmenées de son Brésil natal. Sur le plan théorique, c’est la partie la plus faible du film, mais on est quand même emporté par la force de cet homme et la beauté de son engagement. On regrette seulement quelques facilités dans son regard sur les tribus d’Amérique du Sud ou d’Afrique. Wim Wenders et Salgado ne sont pas ethnologues. Leur regard sur ces tribus est assez naïf, voire paternaliste. Il faut à tout prix préserver cet « état de nature » rousseauiste où l’homme vivait simplement et en harmonie avec la nature. Un passage m’a ainsi vraiment dérangé. Salgado explique qu’un membre d’une tribu d’Amérique Latine lui avait demandé son couteau. Mais un membre éminent d’une université lui avait dit ne donner aucun objet pour ne pas corrompre la « pureté » (sic) de ces peuples, alors il a trouvé une pirouette pour ne pas lui donner. C’est quand même dérangeant que ces tribus ne puissent pas choisir eux-mêmes leur voie et qu’ils faillent les conserver à tout prix dans leur état « naturel ». Mais je ne vais pas insister plus longtemps sur ce point qui reste un court moment du film de Wim Wenders. Le seul qui m’ait réellement dérangé.

L’oeuvre dans sa globalité reste un moment très fort. La standing ovation qui a suivi la projection prouve que ce film était salutaire. Émouvant, bouleversant et surtout d’une beauté renversante The salt of the Earth est un grand documentaire sur un photographe majeur. Un choc.
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le 23 mai 2014

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