C'est un western moins connu que les grands westerns de John Ford, comme la Prisonnière du désert, la Chevauchée fantastique ou ceux de sa trilogie sur la cavalerie US... il est donc bon de rappeler qu'il est aussi l'un de ses meilleurs, et certainement l'un de ses films les plus courageux, non pas tant par le sujet qu'il développe que par le portrait du sergent empreint de dignité et de noblesse ; un portrait majestueux qui pour la première fois dans le cinéma américain montrait un Noir comme un héros, paré de toutes les vertus généralement accordées aux Blancs. C'est probablement une réponse du grand réalisateur qui fut souvent accusé de racisme dans ses westerns.
Si les lieux, l'époque, les personnages sont bien ceux d'un western, Ford s'attache surtout à l'étude de moeurs et aux préjugés raciaux pesant sur les Noirs, libérés de l'esclavage sudiste par la guerre de Sécession (les premiers régiments composés entièrement de soldats Noirs, mais commandés par un officier Blanc, furent constitués en 1866). L'histoire du viol dont il est question ici, fait ressurgir leur différence, et l'audace pour Ford a consisté à montrer les lâchetés des Blancs ainsi que leur hypocrisie face à la fierté et au courage des Noirs, sans pour autant tomber dans le manichéisme inverse qui aurait consisté à dénoncer les tares des Blancs pour mieux glorifier le Noir. Mais l'audace est peut-être moins flagrante qu'il n'y parait, car toute l'action se passe dans un milieu militaire, à l'occasion d'une cour martiale, où le Noir est un soldat, non un citoyen quelconque, et c'est pour l'honneur de l'armée américaine, de cette cavalerie si chère au coeur de Ford, qu'on s'acharne à faire éclater la vérité.
Le raid contre les Apaches inséré dans l'action (au sein d'un décor naturel de toute beauté), n'est pas remis en question, mais Ford qui aborda souvent le thème du racisme à l'égard des Indiens, notamment dans les Deux cavaliers ou les Cheyennes, semble l'ignorer ici pour ne se préoccuper que de la cause noire.
Le personnage du sergent Rutledge permet à Woody Strode, grand acteur athlétique des années 60 habitué des seconds rôles, d'aborder un rôle beaucoup plus profond de façon magnifique, il reste d'ailleurs un ami de John Ford qui assistera à ses derniers instants en 1973. Ceci ajouté au reste du casting (Jeffrey Hunter convaincant, Constance Towers touchante...), à la beauté des images hors procès, à la vérité des personnages, rendent ce film très attachant, sans faire oublier les limites de son antiracisme.