Réalisateur français spécialiste du genre policier, Eric Valette s'internationalise, tout en s'enracinant dans une ruralité profonde. Oxymore qui rejoint l'éclatement d'emblée annoncé par le titre du film, "Le Serpent aux mille coupures". En effet, sont réunis ici des personnages de bons Français (du policier dévoué au rural profond, confit de violence et de xénophobie...), des mafieux colombiens, des terroristes islamistes, un tueur à gages chinois... L'intrigue, censée se dérouler entièrement dans le sud-ouest de la France, est tournée en partie sur ces terres de vignobles mais utilise également les services d'une ferme belge, lieu ombilical du film qui deviendra aussi le point de convergence pour la grande scène d'affrontement final, comme dans tout western qui se respecte. Genre du western auquel la musique, qui offre souvent un contrepoint humoristique ou décalé aux scènes représentées (superbe BO de Christophe Boulanger et Mike Theis), fait explicitement et joliment référence. Car, quitte à être dans la coupure et l'éclatement, Eric Valette choisit aussi de mêler les genres, le policier s'entortillant au western aussi bien qu'au loufoque et à l'absurde belge...
Cette volonté de confluence et d'intrication n'a pas seulement présidé à l'entrecroisement des intrigues (car, selon le découpage choisi, trois ou quatre fils narratifs, de poursuite et de représailles, s'entremêlent ici, du plus local et sociétal au plus international), mais elle a aussi délicieusement complexifié la figure des personnages, à commencer par les deux principaux d'entre eux : le motard en cavale, magnifique Tomer Sisley, lourd d'opacité menaçante lorsqu'il se fait preneur d'otages, plus troublant lorsqu'il redevient homme, qui plus est blessé et traqué, ou même protecteur, lorsqu'il se fait défenseur de la famille persécutée ; Terence Yin, en tueur germano-asiatique au regard bleu acier, plus fascinant et ambigu, dans son efficacité froide et sa séduction mêlées, que ne l'était Javier Bardem dans "No Country for old men" ; mention spéciale, également, à Erika Sainte, très convaincante en mère et épouse séquestrée, tenant tête à son geôlier en même temps que des mouvements plus confus la traversent.
Paré d'une robe souvent très sombre, dans les bruns et les noirs, "Le Serpent aux mille coupures" n'a visiblement pas choisi la clarté. Ce clair-obscur en dérangera plus d'un, mais ravira ceux qui osent s'approcher d'univers moins clairement partitionnés.