Le Signe du lion par Maqroll
Le premier long métrage de Rohmer est déjà un chef-d’œuvre de maîtrise, de poésie, de réflexion philosophique et de cinéma tout court. Un homme, artiste bohème, perd peu à peu tout ce qui représente son insertion au monde des humains. Avec son pantalon tâché de graisse, il se met alors à errer, tel les premiers hommes, en quête de moyens de survivre, errance superbement filmée dans un Paris estival et impitoyable, où de longs travellings le voient côtoyer toute une humanité indifférente qui ne pense qu’à se distraire. Réduit à l’état de pauvre clochard ridicule, objet de dérision, il ne perdra pourtant jamais sa dignité ni sa confiance en sa (mauvaise) étoile, celle qui l’a fait naître sous le signe du Lion « le signe le plus noble », comme il le dit au début, alors qu’il se croit riche. Et puis arrive le 22 août, le soleil sort ce jour-là du signe du Lion pour entrer dans celui de la Vierge, et le film, qui suit la trame astrologique, va basculer à nouveau : il hérite finalement d’une immense fortune dans une pirouette ironique du destin qui fait de lui l’homme le plus recherché de Paris. C’est en jouant à la terrasse d’un café sa musique (incomprise car trop avant-gardiste par la foule stupide) qu’il sera reconnu et ramené dans le monde social, trônant dans une décapotable, proclamant sa bonne fortune… Et le tout dernier plan resitue le propos dans l’univers immense des constellations à travers ces quelques bouts de laine figurant l’un d’entre elles. C’est une magnifique parabole de la grandeur et de la petitesse tout à la fois de l’être humain, filmée de main de maître avec une finesse et une sensibilité prodigieuses, par un Rohmer déjà au sommet de son art et où Jess Hahn se montre monumental de bout en bout. C’est également un des tout principaux manifestes de la Nouvelle vague (on y trouve en clin d’œil Jean-Luc Godard qui repasse inlassablement un passage musical sur un électrophone) et un film clé à classer aux côtés de À bout de souffle et Bob le flambeur comme un phare d’un cinéma de liberté, indépendant jusqu’au bout de sa pensée créatrice.