Le crépuscule d’un Dieu
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Cinéaste russe, un temps proche de Tarkovski, Alexandr Sokurov a manqué de peu la Palme d’Or au Festival de Cannes de 2007 avec son Alexandra. Attiré par les représentations historiques, il tend souvent vers le documentaire élégiaque ; dernier d’une trilogie sur les derniers jours des plus grands chefs d’États autoritaires du XXe (Lénine dans Morus et surtout Hitler dans Moloch), Le Soleil met en relief la capitulation du pouvoir japonais face aux occupants américains à la fin de la seconde guerre mondiale ; cette chute impliquant le renoncement à son essence divine de l’Empereur Hirohito (Shōwa Tennōau Japon).
Sokurov délaisse la dimension politique et historique pour préférer un portrait intime et psychologique ; il fait de Hirohito un individu lucide, éthéré, assumant le déclin de sa puissance symbolique avec zen et mouvements de bouche compulsifs. Toutefois en omettant les crimes de guerre opérés sous la caution du souverain déchu, Le Soleil peut être taxé de complaisance, d’autant qu’il oppose la brutalité des envahisseurs à la finesse, la retenue et la courtoisie excessive, proche du grotesque, du maître et de ses valets.
Insidieusement, ce Soleil se défendant de toute valeur sociale est animé par une conviction philosophique précise : la nostalgie à l’égard du sacré. Le Soleil raconte la fin de la verticalité, du pouvoir bien sûr, mais aussi des esprits, des habitudes. Le prix en est la désillusion et la mélancolie ; et la mise en scène appuie cette atmosphère d’embaumement et de dessèchement ; un voile gris semble habiter chaque plan, comme un brouillard étouffant toute émotion pour mieux percevoir la réalité émergente dans toute sa tiédeur. C’est une transition laborieuse et la morale d’un système de valeur et de perception s’accroche ; lorsque Hirohito dénigre ses présumées qualités divines, ses servants eux-mêmes, devant sa simple silhouette, refusent de voir le corps d’un homme comme les autres, persuadés de faire face à un héritier divin parmi le peuple japonais.
Pour autant, le film tient à l’écart le conflit culturel autant que la pure matière factuelle, l’employant plutôt pour donner un aperçu de la mise à mort d’un gouvernement, avec son cortège d’idéaux fanés, ses ressources désuètes et son peuple absent. Assez frustrant donc sur le plan social et géopolitique puisqu’il tient le premier à la surface et le second à l’écart, Le Soleil s’illustre bien en tant que dissection d’une décadence, où un personnage de pouvoir se délivre du déni mais aussi de ses privilèges et des mythes fondateurs de son environnement. Cette chute acceptée avec dignité et une acuité grandissante se déroule au travers de longs plans-séquences peu loquaces, intensément expressifs par leur silence de mort, leurs dialogues serrés ou les songes camouflés (la réalité fait surface par le rêve de l’Empereur soudain précipité sur un théâtre de la guerre). Malgré ce temps dissolu, on ne ressent pas d’ennui, plutôt une curiosité active et une implication passive. L’atmosphère d’une prise de conscience extrêmement tardive, survenant après les tempêtes, correspond bien à cette immersion sagace dans le vide.
Le grand mérite du Soleil, c’est cette représentation universelle, de la résignation des individus prisonniers sur leur propre territoire, trouvant le réconfort à l’impuissance (face à cet environnement perdu, dont on a privé ou aspiré la sève, ou pire, que nous-mêmes n’avons pas su entretenir) dans la poésie et l’analyse de la situation. Hirohito est l’archétype de celui empruntant, sous la pression de l’existence, le chemin vers une vie et une condition ordinaire ou plus humble ; de la mue vers une certaine ataraxie (et normalité) en s’accrochant à la tristesse conciliante et retrouvant un cocon plus humble (il fini le film dans les bras de sa famille).
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Créée
le 22 déc. 2023
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