Charlie's sunshine of a flaming dragon.
Un air de labre, un tic labial, des dents croches : un empereur.
Suffit de regarder les visages des serviteurs pour comprendre que le Japon est fissuré de partout, écraser qu'il est sous le poids de son honneur farci de décorum rissoler. L'Empereur est une taupe qui obéit à ses serviteurs. On lui dit quand s'habiller, quand écrire à son fils, quand aller en réunion avec des militaires défaits qui suintent des paupières de leur patriotisme rayonnant. Vie réglée, déférence qui fait qu'on salut Hiro-hito trois fois avant de sortir d'une pièce où il se trouve alors qu'il a jamais rien demandé à personne et puis un palais bunkerisé avec des couloirs en béton humides avant d'aller saliver devant le miracle cancérigène qu'est cette espèce de crabe qui ne migre pas (?) et dont j'ai tout à fait oublié le nom latin.
Toujours, les gens sont pliés en deux devant les lèvres trembloto-palpitantes d'une moustache à lunette qui n'a absolument l'air de rien. Toujours, le vieux le suit jusqu'à le regarder faire la sieste (elle est prévue) d'un air inquiet, lui boutonne sa chemise, se voûte le dos comme si toutes les cathédrales du monde attendaient qu'on les porte jusqu'aux cieux, mais qu'est-ce qu'il y peut, lui, cet échoué de la convenance outrancière ? C'est tout ce qu'il connaît et il doit, avec l'autre, veiller à ce que, croit-il, le Soleil étincelle comme une boule de quille qu'on aurait trop frotté. Il porte un cabaret avec une assiette minuscule et on dirait que son dos va casser. Après, il salue trois fois, allume la radio, salue, éteint la radio, salue et resalue.
Pourquoi je parle de lui, d'abord. Il dit rien ou presque, il a pas de nom, il est vieux, mais surtout, il est brisé par le carcan dans lequel il vit. Le serviteur a besoin qu'on lui donne l'ordre pour qui se serve de ses mains et qu'il astique les souliers avec la cire qu'il regardait jusque-là avec envie. C'est ça, avoir un dieu devant soi. Le Soleil, d'essence divine, on peut pas imaginer de lui qu'il soit le dernier Japonais parce que, justement, il a rien d'humain. Mais tout de suite, ça dégringole parce que lui, la lumière de notre vie, sait son corps tout à fait semblable au notre. Il sait ses brûlures d'estomac, son orgueil, sa fierté dévastatrice. Il sait sa culpabilité aussi.
Parce que oui, la taupe moustachue et son aspect insignifiant sont coupables de n'avoir pas donné l'ordre d'attaquer Pearl Harbor (entre ça et Hiroshima, y'a une marge, quand même, MacArthur). Amérique raciste, ma colère aura égrainé mes rizières jusqu'à ce que tes bottes viennent s'abreuver de ma boue. Mais bien sûr, ich kapituliere niemals und hab mit Herrn Hitler nie gesprochen und wir haben uns nie getroffen, mais je parle japonais, allemand, anglais, français, espagnol et un peu italien devant MacArthur avant qu'il m'offre un cigare cubain (c'était avant la baie des Cochons, snuarghf, snuarghf).
Ce qui est fascinant, c'est de voir que la défaite qu'on voit seulement en ruines réussit même pas à entamer l'aveugle respect d'un peuple pour un souverain qui veut seulement la sérénité après le fardeau d'une boucherie qu'il a seulement rêvée, haïku à l'appui (séquence assez intéressante à vol de dragon enflammé, en passant). Après, on voit la vénération impitoyablement lourde d'un éminent chercheur dont l'institut est détruite et son regard impossiblement baissé pour cause de fascination apeurée et de tristesse infinie.
Le Soleil finit par sortir dehors sous une lumière aveuglante venue le symboliser : il s'en va ouvrir la première porte de sa vie en costume de deuil et bien sûr, on le saluera pas parce que l'Amérique est souveraine because, as she can buy fish, she has no need for sailors or ships : un enfant et c'est après ça que le film devient drôle. L'apogée, une claque libératrice que toute personne sensée aurait souhaité recevoir bien avant, est précédée d'une séance de photo que la garde rapprochée du Soleil perçoit d'un mauvais œil alors que lui, notre ami lippu, est tout content de s'exhiber tout en gardant ses vêtements.
Le film, c'est l'acceptation de notre statut de primate la où le Hitler de Moloch est un dieu qui charcute joyeusement, bien en sécurité dans son château, en 1942. Le Soleil, c'est pas des vacances. C'est pas l'insouciance de l'homme répugnant (c'est pour l'image parce qu'en fait il est plutôt drôle) et lubrico-morbide de Moloch, insouciance qui regarde l'Allemagne de tellement haut que tout ça prend des airs mythologiques. Moloch, c'est le regard condescendant d'un Olympien qui dort sur un matelas de nuage ; Le Soleil, c'est le contraire. Hiro-Hito est sympathiquement quelconque et sans histoire dans ce film-là. Je me dis aussi que ça doit être assez particulier de faire le choix de son humanité par aspiration pacifique alors que tout ce qu'on voit de son peuple le loue encore. C'est beau, le faix de l'humilité qui pousse à l'admission de ses torts pour un peu moins de tracas, de cheveux blancs et de remords : la paix.