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le 19 oct. 2021
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Un des commentaires que j'ai pu entendre à propos du Sommet des dieux est le suivant: "ce que le film montre c'est que les alpinistes sont inconscients, ils foncent à la mort comme des demeurés."
Je ne crois pas que ce soit une opinion si répandue, et je ne veux pas me lancer dans un réquisitoire systématique contre une position qui n'est probablement que marginale, mais il y a bien derrière cet avis une pensée bien plus commune : la préservation de la vie comme seule motivation de nos actes, et l'évolution vers davantage de confort et de sécurité n'est probablement pas étrangère à cela. Il reste heureusement des bastions : l'alpinisme et autres types de disciplines périlleuses présentent des supports adéquats pour renverser cette conception qui vient si naturellement à nos contemporains.
La nouvelle de personnes mortes durant une pratique dangereuse fait immédiatement penser que ces personnes ont été victimes de leur inconscience, d'abord dans la décision de se lancer dans une telle activité, puis dans son exécution (... l'exécution de l'activité bien sûr). "Tel amateur de hors piste périt dans une avalanche." : Pourquoi faire du hors piste ? Avait-il bien vérifié la météo des derniers jours pour évaluer le risque d'avalanche ? La plupart du temps les risques sont évalués précisément par les connaisseurs, mais intéressons-nous à pourquoi se lancer dans des situations où l'on risque la mort et pour lesquelles les seules récompenses sont plaisir ou prestige.
La présence de la mort est chose bien présente à l'esprit de ceux qui ont le goût du risque. Sans aller à dire que c'est ce qui donne de la valeur à leur activité, c'est une composante bien présente, et intégrée dans toute la réflexion que l'on peut avoir sur le sujet. Il ne s'agit pas de considérer la possibilité de la mort avec inconscience ou une inconséquence nihiliste, mais comme un jeu avec la nature, un pari on l'on mise sa vie pour éprouver notre compétence et notre expertise dans une discipline, quitte à perdre, mais en s'attachant à mettre toutes les chances de son côté.
Pouvons nous imaginer ce qu'ont ressenti ces personnes au moment où elles ont su qu'elles allaient mourir ? Si l'on enterre l'idée de la mort afin de ne jamais se rappeler à son souvenir et à la réflexion douloureuse qu'elle implique, la réaction naturelle est de projeter sur elles notre propre angoisse, imaginant ainsi ces pauvres victimes essayant d'y échapper à tout prix avec l'énergie du désespoir, jusqu'à ce ne s'abatte brutalement la mort qui fige sur les visages de ceux qui la refusent une expression de terreur pathétique.
Mais l'on est pas obligé d'y souscrire. Au début du Carême, pour le mercredi des Cendres, il est rappelé aux fidèles catholiques qui se font marquer d'une croix lors d'un très beau rite : "Rappelle toi que tu vas mourir". La conscience de notre finitude procure à ceux qui en sont dotés une lucidité métaphysique supérieure, et si elle est bien orientée, celle-ci procure une joie et un désir de vivre pleinement la vie qui nous reste à vivre ici-bas. Simon Leys, dans le bonheur des petits poissons, l'attribuait aux fumeurs à qui l'on rappelle sur leurs produits, par force de bandeaux et d'avertissement excessifs, la fin qui les attend. C'est à mon tour de le faire pour les amateurs de sensations fortes.
Nous avons tant de mal nous figurer ces esprits fiers et vifs toisant la nature par un dernier signe de défi quand ils admettent, en bon joueurs, leur défaite, accueillant la mort avec la satisfaction apaisée d'avoir fait de leur mieux mais d'être tombé sur plus fort que soi. Ou bien profitant frénétiquement de leurs derniers moments dans l'exercice euphorique de leurs passions, voire comme dans le film, prenant en amont des décisions dans ce but tout en sachant que cela impliquait de mourir, mais préférant cela au tragique plus grand encore que représente pour eux la chute d'adrénaline derrière le report ou l'abandon.
La mort tient une place importante dans le film, à hauteur de celle qu'elle peut tenir dans la discipline décrite, en tout cas ce n'est pas trop téméraire de le supposer pour des profanes. Pourtant les expériences et témoignages nombreux qui le rappellent, n'arrêtent pas pour autant les protagonistes et leur faim de hauteurs, de performances, de records. Le plus beau moment du film est la décision de continuer vers le sommet d'un Habu qui sait courir à la mort. En plus d'illustrer cette liberté qui ne se laisse pas contraindre par l'idée de la mort, il y a cette autre conséquence que sa performance ne sera pas laissée à la postérité. "J'agis égoïstement pour moi, pour vous, et pour l'idéal" disait dans une de ses lettres Henri Lange, un poilu. Se lier radicalement à un idéal au mépris de sa vie, au mépris même de la postérité, c'est Antigone, Lin Zhao, c'est la forme la plus noble et désintéressée d'égoïsme : la satisfaction personnelle de ne pas avoir trahi l'idéal de notre vie même si le seul témoin de ce geste est Dieu, et le soulagement de savoir en mourant qu'on ne pourra plus lui être infidèle. Évidemment l'idéal doit le valoir, mais peu le valent autant comme ici celui de vivre sa vie dans la plénitude de ce qu'elle peut offrir par la perfection minutieuse d'une discipline ensuite éprouvée au risque de la mort, plutôt que s'accrocher à une existence laborieusement semi-vécue.
Je suis jaloux des personnes qui vivent cette sensation. Elle se mérite, et il faut se former longuement et consciencieusement à une discipline pour pouvoir espérer en approcher, et les inconscients qui se lancent dans ce genre d'aventure sans préparation en sont très loin, ce n'est pas une proximité inconsidérée à la mort, ni son culte morbide dont je souhaite mettre la valeur en lumière. Il y a certes de nombreuses manières de vivre pleinement sans mettre se mettre en danger, mais je peux m'empêcher de penser.. ne manque-t-il pas aux musiciens un petit quelque chose, ce frisson qu'un piano risque de leur tomber sur la figure si ils dépassent un quota de fausses notes ? Une question ouverte. (EDIT : Ayant écrit cette critique à un moment où je ne comprenais pas qu'une performance musicale dépasse de très loin et de très haut le simple fait de jouer les bonnes notes, j'espère la clémence de qui sera choqué par cette ineptie complète).
Considérations plus proches du film : le grain du papier particulièrement pertinent pour mettre en scène les hauteurs enneigées qui troublent la vue avec sa texture inconstante, de belles idées de dessin globalement comme les visages décrits surtout par leurs ombrages, d'autres moins heureuses comme les tâches de neige un peu ridicules. J'aime la sobriété de la réalisation dans la description des évènements et les transitions vers les flashbacks. le film esquive ainsi pas mal de clichés mais finira tout de même par y succomber dans la scène de la migraine du photographe, migraine jusqu'ici très bien retranscrite via les éclairs rouges et les sons piquants, mais le réalisateur nous a fendu de la fameuse technique d'images et de sons qui s'alternent de plus en plus rapidement, j'aurais aimé qu'il s'en abstienne.
Je chipote, c'est un film que je conseille vivement.
Créée
le 17 mars 2023
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