Le Songe de la lumière
7.6
Le Songe de la lumière

Documentaire de Victor Erice (1992)

[Mouchoir #54]

A mes yeux, ce n'est pas un hasard si Victor Erice débute avec L'Esprit de la ruche en tournant autour du film Frankenstein de 1931. C'est que son cinéma reprendra exactement la quête des films de l'époque, de cette veine, là où elle s'est arrêtée. A savoir, comment l'image peut-elle encore raconter au lendemain de la mort du muet ? Et comment, pour ce faire, adopte-t-elle le regard d'un enfant sur le monde ? C'est-à-dire questionnant tout, pas totalement vierge, mais pleins de doute et cherchant comment les choses se lient, quelles sont les relations secrètes, les mariages et dissonances, et les noeux plus difficiles à nommer, mais pas à montrer ?

Dans un film d'Erice, on a de longs moment sans paroles, des histoires qui se racontent comme en peinture dans leurs choix de cadres, une façon de représenter le temps entre ellipses et flash-back effleurant parfois le proustien mais le rendant presque magique par une puissance presqu'innée du cinéma, et toute une palette de lumières pour toute une palette d'émotions.

Ce n'est pas pour rien que la langue française a ici traduit El Sol del Membrillo en Le Songe de la lumière. Le sujet et l'objet, c'est bien ce cognassier, mais ce qui s'y joue, c'est l'achèvement de cette quête autour de la lumière. Je n'ai jamais vu quelqu'un éclairer tel quel, utiliser la lumière pour raconter tant de choses, tant de sensations temporelles, d'états intimes et romantiques avec le monde. Comme si tout un univers se nichait là, dans cet espace où l'on doit trancher entre telle et telle lueurs presque identiques, mais qui ne produiront pas la même atmosphère, puisque le passage de l'une à l'autre nous chamboule. Une infinité de choix qui éduque notre regard à une infinité de possibilités sensibles. De quoi rester songeur passée la découverte.

« Je ne peux deviner si les autres voient ce que je vois. [...] Une lumière que je ne saurais décrire, limpide et sombre à la fois, qui transforme tout [...]. Ce n'est pas la lumière de la nuit. Ni celle du crépuscule. Ni celle de l'aurore. »

7,5.

Créée

le 14 nov. 2023

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