Bon western militaire malgré un surtexte anti indien grotesque

Dans la floraison des westerns des années 50 réhabilitant les indiens d’Amérique, les tout premiers étaient sincères et beaux (Broken Arrow, La Flèche Brisée, de Daves en 1950), ou politiquement profonds (Devils’s Door, la Porte du Diable, de Mann, en 1950). Parmi les suivants, certains pouvaient les égaler tandis que d'autres suivaient seulement une mode ou alignaient des clichés pseudo progressistes devenus des facilités commerciales.

Dans cet ensemble divers, pouvaient coexister dans des petits films d’action de 80 minutes : la réhabilitation de l’Histoire et des interprétations nouvelles incitant à des réflexions politiques, morales et identitaires, et ceci avec des angles variés. Or voici un western de 1953 qui semble, a contrario, adopter le point de vue univoque du colonisateur blanc haineux. 

Arrowhead  prend le contrepied de ce qui serait selon lui le point de vue condescendant de l'élite libérale sur l'indien vu comme un « bon sauvage ». Ce point de vue est incarné dans ce film par tous les officiers sans exception (ce qui déjà est risible), tandis que le héros, un éclaireur exclu de l’armée, parle au contraire des apaches de la pire façon : ils sont cruels, fourbes, traitres, dissimulateurs, superstitieux, sacrificiels, y compris leurs femmes.

Le propos se veut sérieux car en exergue, il y a une citation officielle de l’armée, reconnaissante, pour le fameux éclaireur Al Sieber, qui inspire le personnage principal, Jim Bannon, joué par Charlton Heston. Celui-ci porte tout seul les « valeurs » racistes dans le film, alors que les officiers - le colonel et le capitaine (joué par Brian Keith) - et même les sous-offs, incarnent une croyance têtue dans le pacifisme inconditionnel des Apaches, jusqu’à ce que, à la fin, ils en paient le prix. Les propos virulents des uns, ou à l'inverse les propos complaisants des autres reflètent certes des comportements, des croyances et des faits historiques avérés. C'est le regroupement systématique dans des dialogues de ces deux points de vue opposés qui nous fatigue et disqualifie la thématique binaire exposée.

Tous les deux sont assénés comme des ponctuations des péripéties de l'action, or nous les supportons comme s’il s’agissait de placages absurdes mais superficiels. Nous continuons à voir le film malgré eux en écrémant au fur et à mesure le discours raciste, ou son contraire le discours niaisement libéral.

C’est que nous sommes captivés par les méandres de l’intrigue : comment les affrontements entre les indiens et l'armée sont préparés, dissimulés, mis à jour, exposés. Nous sommes retenus aussi par les interactions évolutives entre les personnages (rivalités amoureuses multiples, conflits d’amitié et de loyautés), par les ressorts psychologiques intimes (traumatismes enfantins, solidarités familiales ou ressentiments, haine de soi, etc.). Et surtout nous sommes épatés par la figuration des batailles et des escarmouches, par exemple les emprunts tactiques de l’armée yankee aux méthodes de la guérilla indienne. 

En plus de ce foisonnement assez riche, on est aussi retenu car les couleurs et les lumières - notamment pour plusieurs scènes de combats dans la pénombre - sont superbes. On a en effet Ray Rennahan comme directeur photo (c’est celui, deux fois oscarisé, de Gone with the Wind et de Blood and Sands, et plus tard de Duel in the Sun) et Richard Mueller comme color consultant (celui de Vertigo). 

Ce n’est pas tout. Avoir Jack Palance dans le rôle du méchant indien Toriano (qui figure le leader historique Victorio) est une aubaine. Cet acteur à lui seul est un monument qui nous inquiète dès qu’il s’anime : il lui suffit de sourire ou de secouer ses cheveux pour qu’on saisisse l' intention belliqueuse bien mieux qu’une bobine entière de dialogues. Katy Jurado humanise un rôle d’espionne indienne par sa beauté, par sa passion et par sa révolte d'humiliée, tandis que Charlton Heston oscille entre le  genre "grand chasseur blanc » monolithique et le jeune homme mal à l’aise dans ses sentiments envers les hommes et les femmes et y compris les indiens.

Le réalisateur est aussi le scénariste - c’est même son premier métier - et il s’inspire à la fois d'un roman célèbre de W.R. Burnett et du modele historique de l’éclaireur Al Sieber.

Dans sa vrai vie, celui-ci ressemblait moins à ce personnage-ci qu'à ceux figurés par Aldrich dans Bronco Apache, alors joué par John McIntire, puis dans Ulzana's raid (1972) un des meilleurs westerns jamais tournés, où il est joué par Burt Lancaster. Toutes ces références (l’Histoire et le vrai Al Sieber, le roman de Burnett et les deux films de Robert Aldrich) n’ont absolument pas le racisme forcené de Arrowhead et on peut estimer que c’est un rajout de Charles Marquis Warren lui-même. On se demande quelle mouche a piqué ce realisateur  qui fit « Little Big Horn » en 1951, petite serie B en noir et blanc mélancolique centrée sur les conflits internes à l’armée de Custer divisée pendant la grande défaite du 7eme de cavalerie face aux Sioux de Sitting Bull. 

Au bout du compte, il est possible que, dans le scénario de Arrowhead, les discours univoques échangés par l’éclaireur et les officiers veuillent surtout valoriser la solitude romantique d’un personnage qui aura eu raison contre tout le monde. On peut aussi penser que cette adaptation tronquée du roman de Burnett réagissait aux personnages d'indiens pacifistes bêlants qui envahissaient les westerns depuis deux ou trois ans.

Il reste donc un petit film sur les guerres indiennes, enlevé, bien joué, avec des scènes d’actions excellentes, un bon rythme, des décors et des couleurs remarquables, entaché par un discours "raciste versus pacifiste" grossier et stupide.

On peut le comparer à la manière dont ces mêmes ingrédients seront traités et combinés, de façon splendide, intelligente et bouleversante, dans The Searchers (La Prisonnière du Désert) de 1956, ou Two Rode Together (Les Deux Cavaliers) de 1961, tous deux de John Ford, ou dans A Distant Trumpet (La Charge de la 8eme Brigade) de Raoul Walsh en 1964. 

Michael-Faure
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le 22 sept. 2024

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