Western et film noir où un manchot bombarde un village de damnés puis il le sauve.

Ce film de 1955 est devenu rapidement un film culte et de fait c’est un petit chef d’oeuvre. 

Bien qu’il se passe en 1945, il y a des affrontements dans un saloon, et les poursuites en jeep et en limousine semblent être des chevauchées dans le désert. C'est à la fois un film noir en couleurs et un western en CinémaScope. Généralement, si on est amateur d’un de ces genres, on aime aussi l’autre, aussi on apprécie le film doublement.

Dès le générique, la ligne mouvante et acérée du train Southern Pacific fuse vers l'horizon d'une terre aride et lointaine, accompagnée par une superbe musique de André Previn. Puis, changeant de perspective, le train envoie sa locomotive sifflante foncer vers nous les spectateurs : on sait alors que la tension et le qui vive seront le moteur de cette histoire.

Un manchot en chapeau et complet sombre, joué par Spencer Tracy, débarque du train sous un soleil de plomb dans un hameau stupéfait dont des hommes, joués par Lee Marvin, Ernest Borgnine, Robert Ryan sont si méfiants et malveillants qu’ils semblent prêts à exploser. Inquiets d'abord, sarcastiques afin de tester l'homogénéité de leur groupe, et enfin brutaux, ils harcèlent l'étranger handicapé, un vétéran déterminé qui semble chercher quelqu’un dont ils ne veulent pas entendre parler. 

Bien entendu, il s‘agit d’une variation sur "un crime commis en commun",  et caché. Là, ce fut un fermier américano-japonais lynché après Pearl Harbor en 1942. 

Cette histoire qui pourrait être un cliché sur la psychologie d’un groupe miné par la peur et le remords, est merveilleusement conduite dans la progression des interactions et de la violence, des dissociations et des retournements à l’intérieur de ce tissu malsain d'humains isolés où le gradient de haines, de culpabilités et de complicités est discordant. 

Le suspense et la subtilité des évolutions, la force d’incarnation des conflits moraux, de la critique sociale et politique sont exposées dans une combinaison de scènes d’intérieur et de scénes en extérieur.

On pourrait dire  des premières  qu'elles sont trop théâtrales à cause des dialogues en chambre, mais le jeu des acteurs en fait de l’excellent cinéma (ce qui n'est pas si facile : il n'y a guère que le Key Largo de John Huston, de 1948, qui me vienne en exemple pour ce type de réussite).

Pour les séquences d’actions et de mouvements, la nature et l’espace sont très présents. On reconnait les rochers de Lone Pine, la Death Valley, et le desert Mojave de tres nombreux westerns, ici excellemment filmés (et Sturges les a déjà bien utilisé dans For Bravo en 1953 et auparavant dans The Walking Hills en 1949). 

Le Cinemascope et les acteurs sont splendides. Ce sont des stars confirmées comme Tracy et Ryan ou futures comme Marvin et Borgnine, ou bien des seconds rôles comme les anciens Walter Brennan et Dean Jagger et les jeunes John Ericson et Anne Francis. Ceux -ci jouent le frère et la soeur dont les rôles et les morales vont s’inverser au cours de l'intrigue.

Le screen play est de Millard Kaufman, dont on peut retenir le précédent Gun Crazy, de Joseph Lewis, 1950 et plus tard The Ward Lord - Le Seigneur de la Guerre, de Schaffner, 1965, mais ce scénariste ne fait alors qu'adapter des bonnes histoires écrites par des bons écrivains (avec nombre d’autres, moins bons, il sera médiocre). 

L’histoire ici est de Howard Breslin : elle est  tirée de sa nouvelle, Bad Time at Honda, publiée en 1947 - ce qui montre qu’on pouvait déjà aux Etats Unis et dès le lendemain de la guerre faire une critique féroce du racisme antijaponais, et avoir un succès public. 

"Un homme et passé", et c’est comme s’il a bombardé le village puis l’a sauvé, dit Walter Brennan. On ne l’oublie pas.

(Notule de 2020 publiée en février 2025).

Michael-Faure
9
Écrit par

Créée

il y a 4 jours

Critique lue 17 fois

4 j'aime

2 commentaires

Michael-Faure

Écrit par

Critique lue 17 fois

4
2

D'autres avis sur Un homme est passé

Un homme est passé
SanFelice
8

McCreedy coopératif

En 1954, John Sturges était au début de sa carrière et n'avait pas encore signé les films qui le rendront célèbre, que ce soit Les Sept Mercenaires, La Grande Evasion ou Règlement de compte à OK...

le 31 mars 2016

35 j'aime

5

Un homme est passé
Ugly
9

Une sorte de faux western magistral

Tourné en pleine "chasse aux sorcières" à Hollywood, ce film est un violent réquisitoire contre la lâcheté collective. La petite ville de Black Rock perdue en plein désert et où même le train ne...

Par

le 12 juil. 2016

28 j'aime

24

Un homme est passé
Zolo31
8

Le bras armé de la justice

McReedy (Spencer Tracy) est à la recherche d'un terrible secret que veulent lui cacher les habitants de Black Rock. Dans ce village perdu au milieu du désert, l'étranger n'est pas le bienvenu et les...

le 25 avr. 2020

21 j'aime

10

Du même critique

Coup de fouet en retour
Michael-Faure
7

Une intrigue de film criminel et psychologique traitée dans un environnement de western

Ce western de John Sturges se place entre deux de ses chefs d'oeuvre (Un Homme est passé, 1955, et Gunfight at OK Corral, 1957). C’est une intrigue de film criminel avec une forte connotation...

il y a 4 jours

6 j'aime

Le Rideau déchiré
Michael-Faure
8

Hitch renouvelle ses anciens films d'espions en intégrant le côté sombre des années 60

Il est à la fois dans la veine des films d’espionnage que Hitchcock a tourné la décennie précédente (installation progressive d’un suspense de plus en plus haletant, comme North by Northwestou...

le 8 déc. 2024

6 j'aime

1

Fenêtre sur cour
Michael-Faure
9

Triple coup de maître de Hitch malgré une filouterie narrative presque dérangeante.

C'est un de ces magnifiques opus d’Alfred, qui entretient la curiosité du film à énigme, l'inquiétude du thriller, et l'attente du suspense, de tous les genres mélangés donc. Il est très bien joué...

le 8 déc. 2024

5 j'aime

2