Même si je n'étais pas un grand fan de " Jusqu'à la garde " il fallait bien admettre que le film avait d'indéniables qualités en terme de mise en scène, de réalisation, de jeu d'acteur, de scènes de tension et portait un message très actuel sur les femmes battues, qui même quand elle trouve le courage et les moyens de partir et de divorcer, peuvent malheureusement toujours être sous la menace de leur ex mari violent n'acceptant pas la rébellion et l'émancipation de leur femme, qui à leurs yeux leur appartient toujours même après le divorce, sentiment encore renforcé quand des enfants sont nés de cette union.
A cela s'ajoutait un coté pathétique car le père au delà d'un orgueil blessé et d'une masculinité toxique mise à mal, semblait sincèrement souffrir de sa situation (il fallait le voir éclater en pleurs et crier de désespoir le nom de son ex épouse tandis que la police l'embarquait et l'emmenait loin d'elle ...).
Pour ce deuxième film on part sur une autre histoire mais on garde ce rapport conflictuel à la figure du père, ce père qui voudrait se faire passer pour quelqu'un de respectable mais qui cache en fait de sombres instincts ...
Dans Jusqu'à la Garde c'était évident que le père n'était pas net, tant il avait du mal à cacher son agressivité et sa colère quasi permanente envers quasi tout le monde, ici le père a bien su cacher son jeu mais est tout aussi monstrueux si ce n'est plus ...
Et là ou le fils de " Jusqu'à la garde " réussissait à rester détacher de son père malgré ses menaces et ses tentatives de manipulation, celui du film " Le Successeur " finira malgré ses efforts par devenir comme son père, après un moment de bascule particulièrement marquant il n'aura de cesse de démontrer qu'il ne vaut pas mieux que lui, pire : il a d'une certaine façon finit ce que son père avait commencé, il a poursuivi son " œuvre ".
Bien que mort le père semble plus vivant que jamais grâce/ à cause des actes de son fils.
Pour parler de manière plus générale ce second film de Xavier Legrand m'a laissé sur la même impression que le premier : c'est indéniablement un bon film, pétrie de qualités mais qui a aussi des défauts et bien que j'apprécie et comprend la proposition qui nous est faite, je ne peux complétement l'aimer et l'approuver à 100%.
Au niveau des qualités, le film est magnifiquement réalisé, mis en scène, et joué.
La BO est excellente et décuple les émotions qu'on ressent déjà par l'image (vous n'entendrez plus jamais " Fais comme l'oiseau " de Michel Fugain comme avant après avoir vu ce film ...).
On notera aussi un travail remarquable sur la tension poursuivant ce qui avait déjà été brillamment accompli dans " Jusqu'à La Garde ".
Enfin on a une très bonne représentation de l’être humain dans ce qu'il a de meilleur mais aussi de pire, disons le clairement " Le Successeur " met bien plus en avant le second que le premier, " Jusqu'à la Garde " passerait presque pour un film optimiste à coté de " Le Successeur ".
" Jusqu'à la Garde " était un film dur mais qui gardait quand même une touche d'espoir et d'humanité notamment dans sa fin, on finissait le film éreinté mais aussi soulagé et en se disant qu'il y avait encore un peu d'espoir dans ce bas monde, que tout n'était pas perdu.
Ici ce n'est pas le cas, point d'espoir ni de salut, on est dans la tragédie la plus pure, la plus cruelle et la plus ironique qui soit, le bonheur n'a pas sa place ici, et quand il est là c'est pour mieux montrer qu'il n'était qu'un leurre, une horrible mascarade...
Maintenant il faut parler des problèmes du film il y en a essentiellement trois : le film est trop long pour ce qu'il a à raconter et son rythme est assez bâtard.
Le personnage principal déjà pas spécialement sympathique de base devient détestable au plus haut point à partir du fameux moment de bascule dont je vous parlai plus tôt.
Stupide, égoiste, minable, lâche, incapable de contrôler ses émotions et de faire preuve de sang froid, et complétement inapte à prendre la décision simple et logique qui aurait pu tout arranger, éviter le drame absolu de se produire, la seule décision qu'il aurait du prendre et que le spectateur voulait désespérément qu'il prenne, attendait qu'il prenne, en vain ...
Et derrière tout cela amène une avalanche de pathos typiquement français, le film enchainant tragédie sur mélodrame, pathos sur misérabilisme au point d'en devenir écœurant.
A se demander si même Racine ou Shakespeare n'auraient pas trouver ça abusé ...
Maintenant désolé mais je dois spoiler
Ainsi on apprendra que le père du personnage principal, ne supportant plus l'absence de son fils unique qui avait coupé les ponts avec lui, à enlever et séquestré la fille de son meilleur ami. On nous ressort donc le coup du parent qui enlève l'enfant d'un autre pour compenser la perte ou l'absence du sien, pas le summum de l'originalité même si ça reste percutant. Mais le pire c'est la réaction du fils quand il découvre la jeune femme, d'abord il a peur d'elle comme on aurait peur d'un fantôme ou d'un monstre qu'on aurait surpris dans l'obscurité et l'enferme de nouveau dans sa chambre qui n'est rien d'autre qu'une prison. On peut pardonner ce geste car il y a de quoi être terrifié et paniqué. Mais ensuite le héros vrille : après avoir appeler à l'aide la police et son contact sur place, notre cher Elias décide de finalement leur dire qu'il s'est trompé et que tout va bien. Ensuite il a l'idée absolument insensé d'aller confronter la fille kidnappée en débarquant dans sa chambre alors qu'elle dort, le tout affublé d'un casque de moto ... Vous vous doutez bien de ce qui arrive, la fille prend peur et s'enfuit, Elias pourrait alors la laisser partir mais il décide de se lancer à ses trousses jusqu'à ce qu'elle se cogne la tête et se retrouve inconsciente. Mais le pire est à venir, alors qu'on sonne à la porte Elias panique et balance la pauvre femme dans l'escalier du sous sol, évidemment cela la tue ... A partir de ce moment là impossible pour moi d'éprouver une once d'empathie ou de pitié pour Elias, et ce n'est pas le fait qu'il enterre le corps dans la foret du coin tel un tueur en série, qui va arranger les choses ... J'ai rarement autant détesté et méprisé un personnage principal de film, je l'avoue je lui ai souhaiter le pire, je voulais le voir mort ou en tôle d'ici la fin du film, je ne pouvais accepter l'idée qu'il s'en sorte à bon compte. Finalement il sera puni et sévèrement mais pas de la façon que j'espérais : il devra faire face à la tristesse et la culpabilité lié à son acte, avec en point d'orgue la scène des funérailles, du diaporama et du discours du meilleur ami, tels des furies venues le torturer et le briser psychologiquement pour lui faire payer ses abjectes actions. Bien qu'écraser par la culpabilité sa lâcheté reste plus forte et il n'ira ni dire la vérité au meilleur ami de son père ni se rendre à la police.
Le réalisateur a certes tenter de justifier dans des interviews le comportement de son personnage principal en mettant en avant ses crises de panique, sa peur du scandale et de voir son nom sali, l'horreur d'admettre que son père ait pu faire une telle chose, ça ne l'absout en rien. Le réalisateur lui même qualifie son comportement de minable et évoque sa volonté de proposer un personnage principal masculin qui est l'antithèse total du héros courageux accomplissant des actions héroïques, " on attend qu'il soit un héros mais certaines personnes en sont purement incapable " dira t'il.
Le héros tentera bien de se rattraper en donnant au meilleur ami de son père les moyens de découvrir la vérité, mais il est trop tard, il est perdu et son âme aussi, de même que tout respect, toute empathie et tout attachement que le spectateur aurait pu ressentir pour lui. Et le fait que même cette tentative de rédemption se fasse par des moyens détournés car Elias ne veut ni se mouiller ni affronter la réaction du père de sa victime ne fait qu'enfoncer le clou, lâche un jour, lâche toujours... Elias recevra son châtiment ultime via la couverture du magazine faite à sa gloire, au lieu de le couronner cette couverture le nargue en le nommant comme " Le Successeur " de son père allant jusqu'à le nommer uniquement via le nom de famille de ce dernier achevant de faire de lui le digne " successeur " de son père . J'ai vu des gens dire ensuite qu'il se suicidait en sautant par dessus la rambarde du balcon, je ne sais pas si c'est comme ça que le réalisateur voulait qu'on interprète la fin mais si c'est le cas ça veut dire que jusqu'à la fin il aura été lâche et incapable d'assumer quoi que ce soit. Pas grand chose à dire si ce n'est " bon débarras ".
Pour conclure " Le Successeur " est un film fort et percutant mais terriblement dur à aimer tant il est frustrant et désagréable à regarder. Certains l'aimeront malgré tout, voir l'aimeront justement pour cette raison, d'autres détesteront et enfin d'autres seront partagés, coupés en deux, je suis précisément dans ce dernier cas.