(Quelques spoils)
Sans être à la hauteur de Jusqu'à la garde, le deuxième film de Xavier Legrand ne manque pas de qualités. Il démarre plutôt bien en nous introduisant dans le monde et la vie de Ellias Barnes, nouveau directeur artistique d'une maison de Haute-Couture, au moment de la présentation parisienne de sa première collection, faite sur une musique musclée, légèrement menaçante, qui surprend. La collection est un succès et Ellias, entouré de trois de ses modèles vêtues de jaune canari, va faire la couverture du Harper's Bazaar. La mort brutale de son père (par crise cardiaque) et avec qui il a rompu depuis vingt ans, l'oblige à un retour au Québec pour les funérailles et la vente de la maison que celui-ci avait acquise une quinzaine d'années auparavant.
Ellias est bien décidé à expédier aussi vite que possible ces deux "formalités" : l'incinération du défunt et la liquidation de ses biens là-bas (au Canada, pays dont il est originaire et où il n'était plus revenu depuis la rupture avec son père).
Cependant, il faut quand même 45 mn (d'exposition) sur les 112 du long métrage pour arriver au coeur de l'intrigue. La lenteur avec laquelle le réalisateur procède fait que le spectateur renifle peu à peu qu'on le prépare à quelque sombre découverte.
Et c'est à partir de celle-ci que ça se gâte.
Les réactions d'Ellias sont alors invraisemblables. On a beau savoir qu'étant une personnalité internationale de la mode, il souhaite ne pas être compromis dans une affaire sordide, mettre un casque de moto pour affronter les circonstances rencontrées est aussi insensé que terrifiant. Et le fait de renoncer à appeler la police est absurde et follement dangereux. Ellias est un homme de 35-40 ans qui a toute sa tête, il devrait comprendre qu'il ne peut faire autrement que de prévenir les forces de l'ordre. Chercher à passer sous silence l'horreur qu'il vient de découvrir, c'est se mettre gravement dans son tort. Comment un homme intelligent comme lui peut-il ne pas comprendre que libérer immédiatement la malheureuse jeune inconnue est la seule solution humainement possible ? Différer cette libération est absolument invraisemblable ; c'est, de sa part, une réaction folle.
On ne comprend pas non plus l'effondrement brutal (l'évanouissement ?) de la jeune séquestrée, alors qu'elle est parvenue à s'échapper du sous-sol. Et pas davantage qu'Ellias, lorsqu'il trébuche dans l'escalier qui y mène, la laisse dégringoler jusqu'au bas des marches sans chercher à la retenir. Et pourquoi alors n'appelle-t-il pas les pompiers pour qu'ils essaient de la ranimer avec l'appareillage qu'il faut pour ça et dont ils disposent ?
Il décide ensuite de faire disparaître le corps. Cela peut se comprendre, puisque le voilà devenu un meurtrier, même si involontaire. Mais creuser un trou suffisamment profond pour que le cadavre ne soit pas déterré par des animaux sauvages vivant dans la forêt, c'est un sacré travail quand on n'a qu'une pelle et que le sol est gelé (on est au Québec, en hiver, il y a de la neige partout, donc on est forcément bien en dessous de zéro). En tout cas, il n'a qu'une partie de la nuit pour le faire, car à onze du matin, il doit assister aux obsèques de son père. Il y a de quoi avoir les mains en sang, surtout quand on est un dessinateur de mode et qu'on n'a évidemment pas l'habitude de ce genre de travail de force.
Néanmoins, le scénario veut qu'il réussisse à dissimuler le cadavre et à faire acte de présence à la cérémonie précédant l'incinération de la dépouille de son père.
Je ne vais pas détailler la fin, mais quoiqu'en dise le réalisateur, elle reste ambiguë et peu satisfaisante. On aurait quand même aimé en savoir un peu plus sur la réaction du père de la jeune séquestrée. Et c'est trop facile de laisser supposer qu'Ellias se suicide une fois rentré dans son hôtel de Montréal, ou que peut-être il ne se suicide pas and so what ?
Hormis ces invraisemblances et ces ellipses trop commodes, le film se suit avec intérêt, même si j'ai eu, à deux reprises, envie de crier à Ellias : "Retire ton casque, bon sang!" et "Mais allume la lumière, au lieu de t'éclairer avec ton smartphone!"
Marc-André Grondin est heureusement vraiment très bon en Ellias Barnès ; il fait passer bien des choses. Et Yves Jacques qui joue le grand copain du père décédé d'Ellias (en ignorant tout du double visage de celui-ci, ce qui est d'ailleurs psychologiquement assez invraisemblable, mais bon...) fait une très belle composition lui aussi. Le reste de la distribution, bien qu'elle n'intervienne que dans des rôles cinématographiquement secondaires, est parfaitement "casté".
La mise en scène de Xavier Legrand n'est pas mauvaise et compense en partie les faiblesses ou invraisemblances du scénario.