Version courte sans spoilers :
« Il est dur de réaliser un deuxième film ». Soit, il est vrai. A propos du Successeur, je serai tenté d’ajouter que c’est d’autant plus difficile de réaliser son deuxième film quand il tente d’en être deux à la fois.
On démarre avec une intrigue de drame père-fils et l'enjeu du poids de l'héritage et on finit avec un polar psychologique très noir. Entre les deux, 15 minutes de suspens trop vite expédié qui m'ont fait sortir du film. Malgré une scène de "climax" saisissante, le film de Xavier Legrand pêche en n'ayant pas resserré son intrigue sur un enjeu précis et exploité jusqu'à l'os. Où alors, il pêche de ne pas avoir réussi cette transition du premier film vers le thriller. Les quelques scènes bâclées et les décisions hâtives du personnage nous font poser trop de questions pour que l’on embarque dans ce thriller comme l’aurait souhaité le cinéaste.
Cela ne fait pas du Successeur un mauvais film, loin de là. Le thriller fonctionne, on est vissé au siège assez souvent à redouter ce qui va suivre, la mise en scène est ciselée et l'écriture du film est tenue, au delà des choix douteux du personnage et d’une fin décevante et apathique. Marc André Grondin qui tient le premier rôle est excellent. Les quelques pointes d’humour sont bien amenées et donnent au film des respirations utiles mais répétitives. L’image est également joliment travaillée et cohérente dans les ambiances du film. Il reste du film ce sentiment de frustration que le film a tenté d’être trop de choses a la fois : drame tragicomique sur la mort du père, thriller d’épouvante où polar noir. A défaut d'être parfait partout à la fois, le film reste correct dans ces trois registres. C’est dommage tant on sent le grand potentiel du cinéaste.
Version longue avec spoilers :
« Il est dur de réaliser un deuxième film ». Soit, il est vrai. A propos du Successeur, je serai tenté d’ajouter que c’est d’autant plus difficile de réaliser son deuxième film quand il tente d’en être deux à la fois.
Le Successeur dans son exposition propose une intrigue claire : alors qu’il succède à son père a la tête de sa « maison », le créateur de mode Ellias Barnès (Marc-André Grondin) apprend la mort de celui-ci au Quebec. Déjà préoccupé par sa condition cardiaque, et habitué aux crises de paniques, l’angoisse de notre personnage empire avec ce paternel dont le cœur s’est arrêté de battre subitement. Voilà notre intrigue plantée, pense-t-on, à ce moment la du film. Le drame est enclenché. Celui du retour aux sources et la redécouverte forcée d’un passé dont il s’est séparé. C’est le premier film. Il dure 35-40 minutes, je dirais.
Le deuxième commence après quelques formalités logistiques et administratives. En fouillant les sous-sols de la maison de son père, Ellias découvre un réduit dans lequel une tierce personne est séquestrée, depuis longtemps sans aucun doute. On sentait venir l’inattendu dans ce premier film tant la solitude et le prestement d’Ellias sont soulignés (gros plans sur Ellias soucieux, personnage fuyant le cadre, récurrence du motif de la clé). Quelque chose allait le retenir.
On entre dans un thriller d’horreur. Pris de panique, Ellias se remet à parler avec l’accent québécois. Le masque de la réussite du personnage se fend. Une jeune femme est enfermée dans son sous-sol, quand même. La mise en scène et l’image du film suivent. Jusqu’alors plutôt lumineux, le film devient sombre et le le comédien s’isole de plus en plus dans les plans. Il est de plus en plus fuyant. Il refuse davantage encore de dialoguer avec le seul ami de son père. Il précipite chaque rendez-vous avec les Pompes Funèbres (« faites-ce que vous voulez », en parlant de la cérémonie de crémation).
A la hâte
Alors que l’intrigue s’est déplacée de manière extrêmement marquante pour le personnage et les spectateurices, le film évacue cette inconnue séquestrée en une dizaine de minutes à peine. Une grande partie de la critique que j’adresse à ce film s’attarde sur la réalisation de ces 10 ou 15 minutes. Alors que Xavier Legrand tenait une situation de suspens quasiment parfaite. Il l’épuise trop rapidement : la fille s’échappe, elle court dans la maison, tombe dans les pommes. Ellias la descend, la fait tomber involontairement. Elle meurt. Déjà. Certes le suspens existe toujours, il a désormais un cadavre dans le placard, littéralement. Mais je comprends peu le soucis de montrer la mort de cette femme si rapidement. Le nettoyage de la scène de crime est évacué en deux fondus enchainés bâclés et plus tardivement avec une scène d’enterrement en hors-champ dans la forêt.
De plus, face à cette transition entre le premier film et le deuxième, on ne résiste pas aux questionnements sur les choix du personnage. Si, comme la première partie du film nous le montre, Ellias est si indifférent au sort de son père, pourquoi ne pas le condamner moralement en appelant les secours dès la découverte de la séquestrée ? Pourquoi nous montrer son hésitation ? Il a même renié son père en changeant le prénom qu’il lui a donné (son prénom d’état-civil était Sébastien). Est-ce qu’il refuse pour ne pas devenir le fils d’un monstre ? C’est possible. Mais enfin pourquoi le personnage choisit d’ajouter à l’angoisse de la succession le poids de sa propre culpabilité ?
Alors qu’on était avec le personnage, ces interrogations nous sortent de la tenaille sensorielle dans laquelle Xavier Legrand nous avait joliment plongé. Toute cette hâte dans la réalisation et l’avancement de l’histoire ont le mérite de nous emmener vers la scène « climax » du film. Cette séquence de la cérémonie de crémation est un morceau de bravoure à la fois du cinéaste et du comédien.
Kleenex dans le climax
Après avoir caché le corps de la séquestrée dans la forêt, Ellias assiste à l’hommage donné à ce père pervers.
Tout se chamboule pour les spectateurs et le personnage en deux scènes et quelques champs-contre-champs. Grâce au power-point mémoriel, on comprend la duplicité morbide du père qui apparait sur les photos-souvenirs des manifestations pour retrouver Janie (la fille de Dominique, dont la disparition a été mentionnée par deux fois auparavant). Pendant qu’on voit Ellias effondré devant les conséquences insoupçonnées de ses actes (il a tué la fille de Dominique involontairement). La situation empire d’autant plus que dans la scène suivante, Dominique affirme que le Père Barnès « était un des seuls a [l’]avoir soutenu quand la police [le] soupçonnait ». Comme Ellias, on soupçonne le personnage d’Yves Jacques d’avoir été complice et profiteur de cette séquestration. On réévalue de fait toute la sollicitude presque paternelle de Dominique envers le fils Barnès, que ce soit physiquement, tactilement, ou psychologiquement. Si le père Barnès est bien « comme un frère » pour Dominique, alors Ellias est son fils qui affronte une potentialité incestueuse et criminelle. Le câlin que donne Dominique à la suite de son homélie à Ellias, alors recroquevillé dans ses larmes, en est particulièrement dérangeant.
Que ce soit clair, le tourbillon de pensées dans lequel nous plonge cette scène de climax est une vraie réussite du film sur le plan de la mise en scène et de l’interprétation. (particulièrement de la part d’Yves Jacques). Si, comme je le crois, c’était le but du film, pourquoi s’être embêté à placer l’héritage psychologique et la pathologie cardiaque comme premier enjeu narratif du film ?
Frustrant
C’est en ce sens là que Xavier Legrand échoue principalement. Ne pas avoir resserré son intrigue sur cette question spécifique. Où ne pas avoir réussi cette transition du premier film vers le thriller. Les quelques scènes bâclées et les décisions hâtives du personnage nous font poser trop de questions pour que l’on embarque dans ce thriller comme l’aurait souhaité le cinéaste.
Cela ne fait pas du Successeur un mauvais film, loin de là. Le thriller fonctionne, on est vissé au siège assez souvent à redouter ce qui va suivre, la mise en scène est ciselée et l'écriture du film est tenue, au delà des choix douteux du personnage et d’une fin décevante. Les quelques pointes d’humour sont bien amenées et donnent au film des respirations utiles mais répétitives. L’image est également joliment travaillée. Il reste ce sentiment de frustration que le film a tenté d’être trop de choses a la fois : drame tragicomique sur la mort du père, thriller d’épouvante où polar très noir. A vouloir être parfait partout à la fois, le film reste correct dans ces trois registres. C’est dommage tant on sent le grand potentiel du cinéaste.