Alors qu'il prend la succession d'une icône de la haute couture à la tête du maison parisienne de prestige, la star montante de la mode Ellias Barnès se voit rattrapée par son passé. À la suite d'un défilé glacé comme le papier, les mannequins suivant sans ciller la mécanique d'une chorégraphie hélicoïdale, deux policiers viennent lui annoncer la mort de son père. Au passage est révélé le prénom de naissance substitué, Sébastien : un petit tour de passe-passe identitaire, premier indice d'un secret enfantin qui ouvre la voie à un retour vers le passé en forme de spirale (réellement) infernale.
Vingt ans après avoir quitté le Canada, le couturier qui dissimule son arrogance derrière une humilité traficotée (et ses émotions derrière les verres teintés de lunettes noires, et plus tardif son visage d'héritier criminel sous un casque de moto) se voit forcé de prendre un billet retour vers le pays de l'hiver pour régler une autre succession. Celle-ci non revendiquée. Il y a en effet longtemps qu'Ellias/Sébastien a "tué le père". Du moins le croit-il. Les signes avant-coureurs d'un accident cardio-vasculaire l'ont déjà alerté au point de chercher à renouer avec ses origines, précisément au moment où, de l'autre côté de l'Atlantique, le lien se rompt. On ne saura jamais la cause du différend qui aura éloigné l'un de l'autre les deux hommes. La réalité que le fils va devoir affronter en pénétrant dans la maison du père suggère un abyme.
Au Québec, il se retrouve seul, alors qu'un aréopage d'assistants entourait le couturier-vedette dans les studios parisiens. Seul face au déni. Puis seul face à l'ignominie. Seul enfin face à l'ami du père dont il fait la connaissance et qui se présente comme le "frère cosmique" de ce dernier.
Avec Le Successeur, Xavier Legrand paraît se rapprocher du film de genre et s'éloigner du naturalisme de Jusqu'à la garde. Il n'en est rien. Le metteur en scène, aidé par un scénario méticuleux, âpre et d'autant plus performant (qu'il a cosigné, inspiré du roman L'Ascendant d'Alexandre Postel), tisse une toile qui se nourrit de faux-semblants pour exhumer la banalité de l'horreur humaine pétrie de dissimulations, de mensonges, de trahisons. De l'artificialité du milieu de la mode à l'obscur gouffre mensonger dans lequel le fils prodigue chute et rechute, se cogne et s'anéantit, comme dans un cauchemar, le film, servi par un couple d'acteurs irréprochables (Marc-André Grondin, Yves Jacques), interroge la force de ces liens impurs qui capturent les enfants sacrifiés sur l'autel des origines. En cela, Le Successeur se rapproche des meilleurs films du cinéaste (canadien) Atom Egoyan (à commencer par Le Voyage de Felicia et Captives, évidemment).