Le sucre devient une denrée qui explose en actions à l'approche du fameux choc pétrolier de 1973 et les spéculations vont bon train. Georges Conchon s'en sert pour un roman (1977) et il monte une adaptation avec Jacques Rouffio. Le réalisateur avait déjà adapté l'auteur avec L'horizon (1967) et ils avaient collaboré ensemble sur Sept morts sur ordonnance (1975).
Rétrospectivement, Le sucre apparaît comme un film parlant de son époque. Le problème est qu'il peut aussi être très contemporain, puisque ce qui est montré dans le film n'a pas vraiment changé, voire a probablement augmenté avec internet. De même, le film montre clairement que les premières victimes collatérales des puissants sont bien les petits épargnants qu'on oriente par divers moyens (Roger Hanin en est le parfait exemple, sortant le beau discours pour amadouer sa victime en promettant monts et merveilles), avant de les plumer en leur coupant l'herbe sous le pied. Ici, il s'agit de Jean Carmet qui pense pouvoir se faire un pognon de dingue avant de tomber à la renverse.
Dans sa chute, il emporte sa femme (Nelly Borgeaud) et un héritage ; et se fait même un compagnon d'infortune en la personne d'un courtier à peine plus futé joué par Gérard Depardieu (dans un rôle bien depardiesque de l'époque, donc avec une forte tendance à la partie de jambes en l'air). En revanche, les pontes derrière la mascarade se rejettent tous la faute entre eux dans des scènes absurdes où le jeu du "c'est pas moi, c'est l'autre" se fait cruellement sentir. Le sucre n'est d'ailleurs pas si éloigné du plus récent Un fauteuil pour deux (changez le sucre par le jus d'orange), le côté rigolo en moins. Pour preuve, cette séquence bien violente où Carmet est face à tous ceux qui l'ont mis dans la mouise et où ces derniers se moquent totalement de son discours dans une cacophonie redoutable. Ils l'ont plumé, mais l'humiliation totale est là. Carmet n'est qu'une chose dont on se sert et se moque, puis que l'on jette comme une vieille chaussette quand on n'en a plus besoin.
Michel Piccoli est au sommet du cynisme, disant à ses ordonnés de faire flamber les prix avant de s'apercevoir qu'ils ont eu la main lourde et de les engueuler. La caricature parfaite du grand patron jusqu'au cigare en bouche. Carmet est parfait en homme pris en plein dans un étau. On peut également rajouter la performance de Roger Hanin, spéculateur au bagout spectaculaire et accompagné d'une Marthe Villalonga en forme. D'autant que pour une fois elle joue les épouses et non les mères qui n'ont que quelques années de différence avec leur fils de fiction (cf Inspecteur La Bavure ou Un éléphant ça trompe énormément).
Le sucre est donc une chronique qui n'a rien perdu de son mordant et liquide tout sur son passage jusque dans ses dernières minutes. A croire que Rouffio avait encore de la place pour accentuer la résolution du film.