Le travail d'Erice est le reflet parfait du peintre Antonio López qu'il filme dans Le songe de la lumière. Erice fait du cinéma comme Lopez peint ses toiles, en prenant son temps, minutieusement, par petits touches, avec sensibilité, en tenant compte de la lumière, de l'odeur, du son, de l'instant.
De fait il tourne peu, très peu, c'est ce qui rend son œuvre d'autant plus précieuse, fragile, et bouleversante, à l'image d'un Malick par exemple.
Cette conception du cinéma se retrouve au sein même de ses films. Le Sud est fait comme ça. Il est composé de fragments fragiles, de séquences magnifiques car sculptées avec délicatesse, avec sincérité, avec une couleur et une tonalité qui fait basculer le réel dans le fantastique (comme c'était le cas dans l'esprit de la ruche, mais là c'était clairement matérialisé).
C'est un film mémoire, le récit en un long flash back d'une fille qui se souvient de son enfance, dans la maison de campagne familiale. Elle évoque en voix off des souvenirs qui se matérialisent à l'image. Mais pas tout à fait d'une manière linéaire, plutôt en laissant éclater des choses qui l'ont marqué. Au centre de ses souvenirs, son père. Un homme mystérieux, une sorte de sorcier, qui découvre des sources d'eau équipé de son pendule. Elle se souvient de discussions en tête à tête, de la dernière qu'elle a eue avec lui. Elle se souvient de pas de danse, sur un paso doble lors de sa première communion. Elle se souvient d'un nom de femme, qu'il écrivait sur des bouts de papier. Un nom de femme qu'elle retrouvera plus tard, sur une affiche de film. Peut être l'ancienne amante de son père, qu'il n'a jamais pu oublier et qui continue de le hanter.
Et puis il y a le sud, là où il ne neige jamais, la où la chaleur est brulante. C'est là que vivait son père autrefois, là que vit toujours sa grand-mère qu'elle ne voit quasiment jamais. Et peut être également là que vit la femme de l'affiche. Le sud, cette destination, c'est autant le point de mire d'une évasion possible que le chemin de retour vers un passé familial enfoui et qu'elle aimerait découvrir, explorer, celui d'un Espagne différente, avant la guerre, avant Franco.