Le Tableau, peindre le monde avec nuance
Le Tableau, le nouveau film d'animation de Jean-François Laguionie, reflète, à travers une épopée dans de nombreux tableaux, différentes visions du monde. La critique assez légère, très didactique, reste en toile de fond pour ne pas entraver le charme visuel de cette oeuvre visiblement inspirée par les styles de Matisse, Derain, Bonnard ou même Gaudi.
Dans Le Tableau, les personnages sont des allégories élaborant différents niveau de la société. Les Toupins, parfaits et sans défauts, mais dont la personnalité n'est pas exempte de malfaçons, représentent ceux qui se pensent supérieurs, plus beaux, plus riches, plus avancés. Ou une certaine idée de la société occidentale industrielle. Les Pafinis, insatisfaits de leur condition, sont en quête de cette perfection qu'ont les Toupins ; ils les idolâtrent ou les craignent.
De manière imagée, Le Tableau montre comment les Toupins, les classes dirigeantes de cet univers, profitent du sentiment d'infériorité des Pafinis pour exercer leur pouvoir. La dernière catégorie de cet univers regroupe des personnages en marge de la société : les Reufs. Ces esquisses dénuées de couleurs, traitées comme des esclaves par les Toupins et à peine estimées par les Pafinis, renvoient aux sphères les plus basses de la société. Cette catégorisation est renforcée par la présence du château, symbole grandiloquent du pouvoir et lieu de rencontre des privilégiés de ce monde.
Lors de leur voyage à travers l'oeuvre du peintre, les personnages vont voyager de tableau en tableau. Ils devront faire face à la guerre, signifiée d'une manière très caricaturale. Dans ce tableau la dichotomie entre les militaires rouges et les militaires verts souligne l'inutilité d'un combat éternel. C'est cette seule raison, grotesque et jamais remise en cause, qui les pousse à s'affronter.
Par cette exagération le peintre, et donc le réalisateur, montre de manière catégorique et imagée l'inutilité de nombreux conflits humains. Il s'intéresse ainsi de près à ceux qui suivent aveuglement les ordres de leurs supérieurs, tels des chiens domestiqués, sans faire appel à leur propre code d'honneur, à leurs propres manières de penser le bien et le mal.
Loin du tumulte de la guerre et des persécutions des Toupins, les aventuriers à la recherche du peintre se retrouvent dans un tableau qui représente une scène de carnaval vénitien. Ici le peintre dévoile d'autres personnages aux visages masqués. Cet attribut symbolise le repliement des gens qui se réfugient derrière le costume, l'apparat, pour s'affranchir des maux du monde et de leur dépression.
Malheureusement, tout masque est fait pour s'enlever, et les gens se retrouvent encore plus en proie au désespoir lorsqu'ils sortent de l'ivresse de la fête et qu'ils retournent à la réalité. Ce même désespoir est personnifié par l'apparition d'une allégorie de la mort qui, dans ce même tableau, pourchasse le Reuf.
Dans Le Tableau le peintre est une allégorie de l'Être Supérieur, une figure omnisciente et omnipotente qui a la main mise sur toutes ses créations : il peut les créer, les esquisser, choisir de ne pas les perfectionner et même les détruire comme il le souhaite. Ainsi ce voyage à travers différents tableaux, quête spirituelle des personnages pour trouver des réponses auprès de leur créateur, est une manière imagée de montrer le voyage onirique que nous pouvons entreprendre, les questionnements intérieurs qui nous animent parfois, l'envie de côtoyer les forces supérieures pour comprendre notre place dans l'enchevêtrement des choses. Bien qu'il ait les cheveux blanc et une barbe le caractère déifié du peintre s'estompe lorsqu'un des personnages réussit enfin à le rencontrer. Il s'humanise, et devient finalement un personnage comme les autres.
Même si Le Tableau, oeuvre pour enfant, s'illumine grâce à sa qualité picturale et sa parfaite animation, il n'est pas dénué d'une véritable vision sur notre société actuelle, dépeignant sa beauté comme ses travers. Jean-François Laguioni montre qu'il est encore possible de réaliser des films capables d'émouvoir tant par leur beauté que par les idées qu'ils véhiculent.