" Tu peux lire dans mes yeux ? "
Je sais, j'ai mis 9 ... C'est, comment vous dire que depuis un moment j'attends de vibrer à nouveau avec un film et là je vous le dit, c'est fait ! J'ai à la fois rit (presque aux larmes) et eu des frissons, pour dire, je suis passée par tous les états en 2h seulement.
J'ai presque plus envie d'entendre qu'il ne se passe rien, parce que c'est faux, tout arrive, tout se passe, comme ça. On a l'impression de vivre la journée entière (alors qu'on est là que pour 2h), c'est un état particulier, le temps s'étire, le rythme est parfaitement trouvé. C'est l'histoire d'une femme, Alix, 43 ans, mais ça n'a presque pas d'importance. Le plus important c'est que c'est une femme qui prétend vivre sans passé, ni avenir. Complètement ancrée dans le présent, elle s'enflamme, elle rit comme elle pleure et surtout, d'un regard, elle remet tout en cause, le temps d'une journée ...
Une journée placée sous le signe de la beauté. Celle des plans, d'une minutie extrême, qui collent à la peau et aux visages des personnages avec tendresse et pertinence. Mais aussi de la fragilité, celle de l'amour et des choix. C'est aussi une journée en hors temps, musicale (on est le 21 juin), théâtrale (Alix passe une audition, petit bijou d'humour que cette scène d'ailleurs) et un hors temps proche du conte: Alix n'a plus ni téléphone ni argent alors elle court dans la rue après les cabines téléphoniques et la voix de son" boyfriend", toujours sur répondeur (la force du film est de n'entendre que sa voix). C'est une femme moderne piégée par tous les artifices qui l'entourent et qui doit reprendre les méthodes anciennes pour se promener légère dans les rues de Paris, du métro aux café en passant par une chambre d'hôtel... Sa rencontre avec "l'inconnu anglais du train" se teinte alors d'irréel, de ses moments où les mains et les yeux (ah ces magnifiques plans) se lient dans la rue, comme le périple de deux adolescents en fugue...L'homme venu en ferry depuis l’Angleterre, qu'elle retrouve près d'une église pour un jour de deuil (et de discussion économique sur la Grèce) est d'une douceur époustouflante,apaisante et plein d'un désir refréné d'abord, presque explosif ensuite, il n'entraîne rien, il est comme nous happé par Alix, et il n'y a qu'à la fin, peut-être, qu'il aura enfin la chance de prendre son destin en mains ...
La beauté du film, sa force réside dans le pouvoir magique, burlesque et dramatique de cette journée où tout s'arrête tout autant que tout se décide. Mais surtout, il est porté par la grâce féline et joyeuse d'une Emmanuelle Devos magnifique que la caméra caresse lentement, amoureusement, langoureusement. On a rarement vue une actrice aussi bien filmée. C'est alors qu'on est happé avec cette femme dans "le tourbillon de la vie"...