Critique éditée le 22 décembre 2022
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Nous voici projeté dans les derniers instants de la vie de Marcel Proust, le moment fatidique où la mort va l'emporter à Paris à l'âge de 51 ans le 18 novembre 1922.
L'Auteur vient enfin de terminer à bout de force "A la recherche du temps perdu". L'angoisse de la fin accompagne la fièvre et la souffrance due à sa très longue maladie qu'il traîne depuis l'âge de neuf ans, cet asthme qui a dégénéré en pneumonie. C'est le temps des souvenirs mais aussi des comparaisons lorsqu'il demande sur son lit de mort à sa fidèle servante Céleste Albaret de lui amener une pile d'anciennes photos de famille et de ses connaissances.
Son existence avant son fatal dénouement aurait pu être plus sereine sans un père très dur dans l'éducation et les convenances, une mère tendre mais trop invasive et sans cette foutue maladie qui l'agresse le privant de certaines activités de son âge.
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Marcel après avoir longuement séjourné dans une maison de santé, sa dernière chance de répit, part à une réception chez la princesse de Guernantes à laquelle d'anciennes connaissances sont conviées et là, il ne reconnaît plus personne. Est-ce les gens qui ont tant vieilli? Est-ce la mémoire qui s'évapore ? Peut-être aussi l'angoisse, la panique de "partir" qui se font sentir ? Toujours est-il que l'homme est profondément surpris, déçu. Il trouve ses anciennes relations presque méconnaissables. Marcel sort de cette réception très déprimé. Il se réfugie alors devant les photos du passé pour le ramener à SA réalité d'hier. Après cette "révision" l'écrivain quittera son dernier refuge, son lit, pour rejoindre tant d'autres personnes qu'il a aimés ou non et sera inhumé au "Cimetière du Père-Lachaise".
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Dans sa toute jeunesse, dès l'âge de six ans, le petit Marcel passe ses vacances à Combray dans la demeure de sa tante Léonie. C'est dans ce cadre bucolique où la fenêtre de sa chambre donnait sur le clocher de l'église qu'il emmagasinera des tas de souvenirs dont la fameuse "madeleine" confectionnée par sa tante. Il connaîtra aussi ses premiers malheurs d'enfant provenant notamment de l'éducation stricte de son père. Ces périodes de vacances seront déterminantes et resteront gravées à jamais dans sa mémoire et cela se retrouvera bien plus tard dans son œuvre marquée également par sa sensibilité et son sens de l'observation.
La maladie qui planait au-dessus de sa vie fut une "alliée involontaire" supplémentaire afin de nous offrir ses dernières œuvres aux phrases souvent si longues que l'on se demande si la plume ne se retire que lorsque l'auteur a livré le fond de sa pensée.
Le réalisateur franco -chilien Raoul Ruiz décide de reprendre les premiers moments de la vie de Marcel Proust afin de mieux nous imprégner de la personnalité de celui-ci. Il s'arrête sur des détails fugitifs de son enfance telle sa lanterne magique qui à Combray imprimait sur les murs de sa chambre des scènes qu'il jugeait impressionnantes lorsqu'il se sentait seul dans ce lieu clos. Puis nous regardons les photos de personnages qui ont marqué sa vie , des amis pour beaucoup décédés.
Nous les rencontrons lors de cette époque où les réceptions étaient nombreuses à peine interrompues par la première guerre mondiale. Les relations de Marcel étaient parfois un délice, parfois une corvée mais toujours son attention et sa curiosité étaient en éveil. Après son séjour dans une maison de santé il accepte une invitation pour une réception, sa dernière, chez la Princesse de Guernantes. Il y retrouve ses anciennes relations qu'il trouve vieillies, affreuses et inintéressantes à tel point qu'il n'en reconnaît pas certaines.
En 1919 il revient à Paris qu'il ne quittera plus, rongé par son mal et sachant qu'il ne lui reste que très peu de temps à vivre. Avec une extrême ténacité il continue l'écriture afin de terminer la "Recherche" assisté de Céleste, avant de s'éteindre dans sa chambre.
Quelque temps avant en 1919, il obtient le "Prix Goncourt" pour "À l’ombre des jeunes filles en fleurs" en devançant Roland Dorrgelès avec son fameux roman "Les croix de bois". Ce fut la consécration de l'écrivain.
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Voici donc un film émouvant, passionnant et, fort bien réalisé. Raoul Ruiz a franchement cerné la complexité de Marcel Proust en nous décrivant, avec une admiration sans faille pour son personnage, la fin de vie avec l'écriture de ses trois derniers volumes et la profonde anxiété de ne pas avoir le temps d'y parvenir.
Le réalisateur nous fait entrer d'emblée dans la jeunesse et l'univers de l'écrivain ce qui va donner une parfaite cohésion à ce personnage d'exception qui est l'une des gloires de notre littérature. De plus la mise en scène toute en sobriété est judicieuse et inventive. Trois scènes me la confirment particulièrement: Marcel Proust se promenait avec son allure de dandy, flânant dans un restaurant déserté symbolisant certainement une époque révolu, la disparition de son environnement habituel et sa fin prochaine qu'il pressent, bref la fin de son époque. Le film est parsemé d'autres scènes dont dont celles qui pour moi annonce la fin de son existence, ce passage dans un tunnel sombre étroit, tortueux et et très ou cette dernière réception chez la princesse de Guernantes où le constat de l'écrivain sera déprimant, ne reconnaissant pas grand monde au milieu de ces gens ressemblant plutôt à des morts-vivants jacassant et tenant des propos méchants ou insignifiants.
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Si vous désirez retrouver Marcel Proust dans la toute dernière partie de son œuvre, au moment du bilan sur son existence, à ce moment d'appréhender la mort terminant son œuvre en inscrivant au bas de la page le mot "FIN", ne manquez surtout pas ce film.
Outre l'excellente analyse de Raoul Ruiz je veux absolument saluer Marcello Mazzarella dans le rôle de l'écrivain (adulte) dont il nous livre une interprétation magistrale avec une ressemblance aussi vraie que nature. Une pléiade d'actrices et d'acteurs très célèbres concourent avec bonheur à faire de ce film un chef-d'œuvre et je ne peux en citer que certains vu le nombre: Catherine Deneuve, Emmanuelle Béart, Clhiara Mastroiani, Marie-France Pisier, Elsa Zylberstein, Edith Scob, John Malkovich, Vincent Pérez, Pascal Grégory et un cinquantaine d'autres.
Vraiment n'hésitez pas à déguster ce film qui fut pour moi une vraie "madeleine" et n'hésitez pas non plus à aborder son œuvre littéraire dans laquelle vous trouverez forcément des passages qui vous toucheront personnellement. Proust ne se lit pas forcément comme une suite de romans. Il y a tant de passages sur lesquels on veut revenir nous touchant au plus profond de nous-même. Pour un brin de nostalgie, je rajoute à ma critique un texte bien célèbre et évocateur "Madeleine" de Proust issu de "Du côté de chez Swann" , premier tome de "La recherche du temps perdu". Le passage de "La madeleine" est lié à l'habitude de sa tante qui lui servait ces gâteaux qu'il trempait dans son thé.
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« Et tout d'un coup le souvenir m'est apparu. Ce goût c'était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin, à Combray (parce que ce jour-là je ne sortais pas avant l'heure de la messe), quand j'allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m'offrait après l'avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne m'avait rien rappelé avant que je n'y eusse goûté ; peut-être parce que, en ayant souvent aperçu depuis, sans en manger, sur les tablettes des pâtissiers, leur image avait quitté ces jours de Combray pour se lier à d'autres plus récents ; peut-être parce que de ces souvenirs abandonnés si longtemps hors de la mémoire, rien ne survivait, tout s'était désagrégé ; les formes – et celle aussi du petit coquillage de pâtisserie, si grassement sensuel, sous son plissage sévère et dévot – s'étaient abolies, ou, ensommeillées, avaient perdu la force d'expansion qui leur eût permis de rejoindre la conscience. Mais, quand d'un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l'odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l'édifice immense du souvenir. »
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Ma note: 10/10