Le Territoire des loups par Drenhat
Sur internet on tombe sur des textes endiablés incitant quiconque les lit à boycotter le film. Un retour en arrière de cinquante ans, les droits des loups menacés, leur survie en péril ! On y affirme que Liam Neeson s'est délecté de viande de loup sur le tournage et j'en passe. Tiens, on retrouve le mot « il paraît » à plusieurs reprises ?! On priera donc chacun de cesser de crier aux loups et de me pardonner ce jeu de mot facile. On retrouve ici les mêmes mouvements extrémistes et ignorants que ceux qui ont chercher à stopper les représentations de Castellucci. Nos convictions sont elles un prétexte pour suivre aveuglément et en bêlant le premier berger qui partage nos idées ? Si cette levée de hallebardes avait daignée voir le film, elle se serait rendu compte que ces loups ont de quoi faire pâlir de jalousie n'importe quel grizzly. Faits en image de synthèse, ce ne sont pas de simples représentants canidés mais l'expression de la nature dans ce qu'elle a de plus terrifiante et de plus vengeresse.
Le film démarre sur John Ottway, un chasseur engagé par une compagnie pétrolière pour protéger les ouvriers des bêtes sauvages. Il essaye d'empêcher la nature de reprendre ses droits et la repousse autant qu'il peut avec son fusil de chasse. Un film qui démarre ainsi assez banalement, des ouvriers ayants pour seuls distraction la cuite quotidienne, un avion qui s'écrase dans les montagnes et un homme au sang froid qui prend la situation en main. C'est ici que le réalisateur expulse nos à priori dans la benne la plus proche. John Ottway devient leader en expliquant calmement à un homme la façon dont il va mourir. Mais que se passe t-il lorsqu'on confie sa survie à un homme qui était quelques heures plus tôt sur le point de se suicider ? Voici la première rupture avec le héros américain classique et indestructible. Ottway est un homme détruit avant même que le film ne démarre. Il écrit une lettre à sa femme avec laquelle il semble séparé et pourtant pour qui il paraît ressentir un amour immuable. Elle est avec le souvenir de son père l'une des rares choses qui le raccroche au monde extérieur. Elle apparaît sous forme de flash-back très épurés, baignés par une douce lumière qui l'extrait des paysages rugueux du film.
Cet homme est allé s'enterrer dans les régions polaires. Il s'est retiré de la société des hommes avec lesquels il ne parle même plus. Ce voyage qu'il doit entreprendre avec les survivants semble à priori être un retour vers sa condition d'homme. Il doit s'écarter de son gigantesque tombeau enneigé pour ramener les hommes vers la civilisation. C'est du moins ce qui se dessine à priori dans The Grey. En réalité Ottway organise les rescapés en une meute pour lesquels il sera le mâle dominant. Fini le fusil de chasse et la technologie, leurs seules armes sont le feu, les lances et le couteau. Mais contrairement aux loups, les hommes ne sont plus habitués à combattre et ils ne sembles avoir aucune chance face à l'environnement qui les entoure. Après avoir fuient le ruines de l'avion, les survivants se rassemblent autour d'un misérable feu attendant que l'inéluctable se produise. On ne perçoit les loups que par leur souffle et leurs yeux lumineux qui se détachent de la nuit. Le suspense est à son paroxysme, le hors-champ est partout. La nature envoie ses combattants les uns après les autres. Cela commence par les parias de la meute. Les loups surgissent avec un son d'une violence inouïe (heureusement au Gaumont il n'y a pas de risque de réveiller les spectateurs du film chiant d'à côté). La brutalité est amplifiée par sa ponctuation espacée, entourée par le gémissement du vent ou le craquement des arbres. Mais comme précisé plus haut, les loups ne sont que l'apparence du danger. Le froid ou le vide sont autant d'autres exemple d'une puissance qui les dépasse.
La photographie de Masanobu Takayanagi (Warrior) enlève dès le départ toute possibilité de survie. Que ce soit à travers le brouillard ou la nuit, la profondeur de champ est absente pendant la quasi totalité du film. Les hommes n'ont aucun échappatoire et la nature ne s'ouvre à eux qu'aux prémisses de leur morts pour se révéler dans son gigantisme et sa magnificence. The Grey semble être ce chemin vers la mort que chacun des personnages envisage à sa manière. D'aucuns prient Dieu, d'autres pensent aux leurs. On passe de la révolte à l'acceptation. L'un d'entre eux décide simplement de s'arrêter, comprenant qu'il est inutile de lutter John au lieu d'essayer de le convaincre le regarde et l'accepte. Il n'en peut plus ? Soit, on continue. Les loups ne sont qu'une des représentations de l'étrangeté de l'homme dans ce territoire épuré et vierge de toute activité humaine. Ottway est le guide qui les conduit sur les arpents du poème qu'il récite à plusieurs reprises :
« Aujourd'hui encore, un combat,
Le meilleur que je ne connaitrai jamais.
Vivre ou mourir en ce jour,
Vivre ou mourir en ce jour. »
La puissance de The Grey repose sur la compréhension progressive du spectateur sur le sort réservé à tous ces hommes. Le film évoque une tension qui croît tout au long du film et balaye tour à tour tous les espoirs que nous nous faisions. Les hommes qui accompagnent Ottway le mènent jusqu'au bout de son propre chemin, une route où toute humanité disparaît pour laisser place à un combat entre deux bêtes sauvages dont la finalité révèlera celui qui prendra la tête de cette nouvelle horde.