The Grey de son titre original, est un survival réalisé par Joe Carnahan.
Le point de départ est simple. Une station d'ouvriers en Alaska, une zone de perdition hors du monde, un protagoniste désespéré qui s'interroge en voix-off sur les raisons qui le poussent à continuer sans elle.
Présenté comme totalement suicidaire dès le début du métrage, John Ottway (Liam Neeson) raconte. Son rôle tout d'abord, celui de protéger les autres ouvriers des attaques récurrentes des loups avoisinants le site. Puis il s'interroge, sur les raisons qui l'ont conduit à se réfugier là, aux confins du monde, parmi certains anciens bagnards. A la veille de repartir par avion pour regagner le monde civilisé, il tente à nouveau d'en finir en s'isolant et en plaçant le canon de son fusil dans la bouche. Mais il échoue à appuyer sur la détente et semble se donner une chance de continuer et de revenir vers le monde qu'il a voulu fuir. Ce n'est pourtant pas à lui qu'il s'adresse dans chacun de ses monologues intérieurs, mais à elle. De son grand amour, nous n'en aurons qu'une image récurrente, étendue sur un lit, son visage serein tourné vers lui et la caméra, un sourire rassurant aux lèvres, et lui demandant de ne pas avoir peur. Mais peur de quoi ?
Car ensuite se produit l'accident. Lors du vol qui le ramène lui et une bonne partie de ses collègues vers le gros de l'humanité, l'avion subit une avarie et s'écrase en zone inhabitée. Un vrai no man's land glacial, des étendues de neige à perte de vue, un blizzard qui menace à tout moment, et les loups... Car bien sûr, ils sont tombés sur leur territoire et plus encore que leur appétit, les loups ont l'instinct de meute et de territoire. Ce qui fait de John Ottway, le plus à même de mener le peu de survivants du crash qui reste loin de la portée des canidés voraces.


Certains ont beaucoup critiqué la véracité des attaques des loups dans le métrage, leur omniprésence, et leur aspect parfois peu crédible, la faute à des CGI plus que nécessaires quand on sait que la nature instable du loup en fait pour les dresseurs l'animal le plus difficile à diriger. On aura aussi pas mal critiqué à l'époque la gueule et l'appétit de Bruce, le squale meurtrier de Jaws, dans un tout autre registre cependant.
Critiquer l'hostilité des loups dans The Grey, la crédibilité de leurs attaques incessantes sur les protagonistes, c'est ignorer purement et simplement le véritable propos du film. The Grey ne traite que sur la forme de loups et de rapports humains conflictuels, il fait d'ailleurs l'inévitable parallèle entre l'homme et la bête. L'homme est un loup pour l'homme, vous vous souvenez ?
Dans le fond, la thématique du film n'en est que plus grave. Car c'est bien de la mort que traite le film ou plutôt de l'appréhension de la mort. Il y a d'abord la tentative de suicide du personnage principal, puis l'agonie d'un homme que Ottway accompagne par des paroles rassurantes sans jamais lui cacher qu'il va mourir. Puis les premiers loups attaquent, s'ensuit un blizzard meurtrier, et les compagnons d'infortune d'Ottway tombent au fur et à mesure autour de lui.


Qualifier le scénario du film de récit d'initiation serait peut-être exagéré, pourtant il en présente plusieurs caractéristiques dont la moindre est le périple d'un héros au bout duquel il se trouve enfin.
Voir le personnage de Liam Neeson suicidaire au début du film et ensuite s'accrochant farouchement à la vie, menant un combat désespéré contre une nature hostile à toute trace d'humanité, c'est voir le paradoxe d'un homme qui n'a plus aucune raison de vouloir vivre mais qui se bat quand même sans que l'on sache réellement quelles sont ses raisons. Le fait-il pour aider et mener ses camarades hors de danger, le fait-il pour lui, pour se prouver quelque-chose, que la vie est un combat auquel il ne veut décidément pas renoncer, ou par simple instinct de survie ?


Joe Carnahan tenait particulièrement à réaliser ce projet. Il livre un film puissant, magnifiant les paysages polaires, fragilisant ses personnages qu'il épaissit peu à peu en leur donnant à chacun leur personnalité, leur passé, leur identité. Des personnages qui ont vécu, aimé et sont attendus par quelqu'un quelque-part. Ainsi, certains de ces personnages, lorsqu'ils meurent, voient leurs proches leur tendre la main alors qu'en vérité les loups se disputent déjà leur carcasse. Les survivants eux, dans un ultime geste de compassion avec leur compagnons tombés, collectent leurs porte-feuilles dans le but de les rendre à leurs proches.
Bien sûr, Carnahan n'évite pas l'écueil propre à ce genre de survival. La première apparition des loups par exemple peut apparaître comme assez convenue, comme le manque de profondeur de certains protagonistes il est vrai. Les morts se succèdent alors qu'on finit par se demander machinalement qui sera la prochaine victime mais ce genre de poncifs est quasiment inévitable dans l'exercice d'un tel genre.
Le schéma narratif restant assez conventionnel, le récit n'en est pas moins poignant et l'on finit par s'attacher à la destinée de ses hommes livrés à eux-mêmes, à leurs contradictions et à cet environnement hostile. De fait, le traditionnel récalcitrant par exemple, tout en gouaille ironique et tapageuse, finit même par devenir sympathique et héroïque aux yeux du spectateur.
Mais c'est bel et bien John Ottway, le personnage principal, qui nous interpelle. Liam Neeson apporte tout son talent et son charisme pour incarner cet homme faillible et démissionnaire, un suicidaire qui ne tient plus que par instinct de survie. Et voir tous ses camarades tomber un à un lui donne encore plus de volonté et de rage pour affronter toutes ces épreuves et lui donner la détermination d'aller au bout de son voyage (voir cette scène où il engueule Dieu).
Et c'est bel et bien au bout de son périple, que le personnage assumera son passé tout en repensant au vieux poème qu'avait écrit son père sur la nécessité de ne jamais renoncer à combattre. Joe Carnahan nous livre alors, au terme d'un métrage sublime, un final proprement bouleversant, rehaussé par le score mélancolique de Mark Streitenfeld.


The Grey est un film qui bouscule le spectateur attentif à la destinée de ses personnages, il lui fait partager leurs espoirs, leurs illusions, leur combat. Il les fragilise en les confrontant à un environnement naturel tout aussi somptueux qu'impitoyable. Il bouleverse sans céder gratuitement au pathos, mais offre un climax propre à réchauffer les coeurs les plus glacés, et dont les images et la musique hantent ses spectateurs longtemps après la fin du métrage. Le gris, une bien belle couleur.

Buddy_Noone
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le 26 mai 2014

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Buddy_Noone

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